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secte. Le chef de l’Assistance publique est, il est vrai, un administrateur plein de respect pour la liberté de conscience et aussi plein de ressources ; il a pris en habile homme toutes les précautions nécessaires pour que tout se passe selon la formule. Ainsi, par exemple, qu’un malade ou un mourant désire voir un prêtre, on ne le lui refusera pas : seulement, le malheureux aura à en faire la demande régulièrement, d’une manière authentique, — on ne dit pas si ce sera sur papier timbré ou devant témoins. Alors un employé, muni d’un bulletin détaché d’un registre à souche qui servira au contrôle de l’administration, partira pour la paroisse et il trouvera un prêtre ou il ne le trouvera pas ; le prêtre, à son tour, pourra être retardé, et, quand il arrivera, l’agonisant sera peut-être mort. Ce sera un malheur, voilà tout : la liberté de conscience aura été respectée ! L’administration laïque aura fait son devoir ! Ce directeur de l’Assistance publique est vraiment un homme d’une libéralité extraordinaire. Il va jusqu’à faire une concession que le conseil municipal ne lui pardonnera peut-être pas ; il consent à laisser dire une messe dans l’hospice des vieillards, afin que les bonnes femmes, qui en ont l’habitude, puissent « aller chaque dimanche s’asseoir à l’église à une place toujours la même, » et trouver une « distraction dans leur ennui, une occupation dans leur désœuvrement. » Parlons franchement : ce mépris de la conscience des pauvres, ces manipulations administratives des derniers momens d’une créature humaine ont quelque chose de particulièrement odieux, et parce qu’elles sont une violence cruelle faite aux croyances les plus intimes et parce qu’elles sont une hypocrisie. Si c’est là ce que M. le président de l’union démocratique, d’accord avec ses amis et avec le gouvernement, appelle faire de la république le régime de la paix religieuse, il a une façon particulière de voir les choses et de les caractériser. On fait aujourd’hui la paix religieuse en allumant toutes les passions de la guerre, en mettant la division dans le pays, comme on fait la paix industrielle en préparant l’armée des coalitions et des grèves.

Faut-il donc s’étonner après tout cela que le chef de la religion catholique intervienne par une démarche personnelle, par une sorte d’appel direct à la raison d’un gouvernement livré à de si tristes conseils, à de si dangereux entraînemens ? On ne peut certes accuser le pape Léon XIII de s’être montré impatient et agressif dans ces malheureuses affaires religieuses de notre pays, d’avoir excité au combat ceux qui le reconnaissent comme le chef de leur culte. Depuis le commencement de ce qu’on appelle la « guerre au cléricalisme » et de ce qui, en réalité, est la guerre à l’église catholique tout entière, à l’idée chrétienne elle-même, il a gardé la réserve et la mesure du plus sage politique. Il n’a pas sans doute laissé ignorer les sentimens qu’il éprouvait devant toute cette campagne de sectaires, depuis les décrets