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d’enfans est un pays dont l’avenir est fermé. Dans vingt ans, les adultes d’aujourd’hui seront des vieillards ou des morts. Dans vingt ans, les enfans d’aujourd’hui seront des hommes.

« Sur 10,000 habitans, dit triomphalement M. Block, la France compte 929 enfans et la Prusse 1,510. » Eh bien ! oui, cela prouve que, dans trente ans, il y aura 929 Français contre 1,510 Prussiens : voilà une brillante perspective !

C’est dans nos enfans que réside l’avenir du pays. Plus le nombre des enfans est grand, plus le pays comptera un jour de défenseurs et de travailleurs. Ne nous glorifions pas de compter beaucoup d’adultes et peu d’enfans. Hélas ! dans quelques années, nous compterons peu d’adultes et pas du tout d’enfans.


Je voudrais aussi répondre en quelques mots à M. O. d’Haussonville. Il n’y a pas d’ailleurs entre nous de véritable désaccord. C’est avec une émotion passionnée que j’ai lu ses articles récens, animés de sentimens si généreux : de fait, nous sommes du même avis, quant à la cause de l’infécondité française.

Il n’est pas douteux que les populations misérables ont plus d’enfans que les populations aisées, plus d’enfans surtout que les riches. Plus il y a de richesse, moins il y a d’enfans ; c’est là un fait indiscutable. La classe sociale qu’on appelle la bourgeoisie est corrompue « jusqu’aux mouëlles. » S’il n’y avait en France que des bourgeois, à la fin du XXe siècle, il ne resterait plus un seul individu de nationalité française. Notre race aurait disparu, la stérilité volontaire complétant le mal que fait la stérilité fatale.

Si la bourgeoisie ne disparaît pas, c’est parce qu’elle se renouvelle incessamment ; les ouvriers, les paysans surtout, l’alimentent sans cesse. C’est une régénération perpétuelle ; l’ouvrier d’aujourd’hui est le bourgeois de demain, et après-demain, sa race n’existera plus.

Il est vraisemblable que tout cela ne changera guère, quoi qu’on dise ; nul n’empêchera le bourgeois de suivre la même ornière. Dans sa prudence, il ne veut pas que son héritage soit morcelé ; mais il fait si bien qu’au bout de quelques générations, cet héritage ne trouve plus d’héritiers directs.

Ceux-là qui sont, par leur fortune, par leur aisance plutôt, capables d’élever de nombreuses familles, sont précisément ceux qui prennent soin d’avoir des familles peu nombreuses. Et aussi, par une anomalie étrange, ce sont les moins fortunés sur qui pèse la lourde charge d’une nombreuse famille.

Je crois que M. d’Haussonville s’entendra avec moi pour blâmer les premiers. Quelle excuse pourra donner de ses calculs le petit bourgeois, le petit paysan propriétaire, qui n’ose pas avoir plus d’un