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guidait. C’est qu’il n’y a pas eu dans l’histoire de peintre célèbre qui « n’ait possédé quelque partie de la peinture plus parfaitement que les autres, et à qui la nature n’ait donné en partage quelque talent particulier. » Il a raison. La critique d’art n’a parlé convenablement ni d’un tableau, ni surtout d’un maître, — et quand il serait du second ou du troisième ordre, — tant qu’elle n’a pas découvert, signalé, catalogué pour ainsi dire, une partie de la peinture qu’il ait possédée plus parfaitement que ses prédécesseurs ou ses contemporains. Les membres de l’Académie, royale ne se sont appliqués à rien plus consciencieusement qu’à signaler ces qualités qui font les maîtres, et montrer, en quelque sorte, au doigt, l’originalité de Raphaël ou de Titien.

Là est le véritable intérêt de ces conférences : ce sont des artistes qui parlent de leur art. Ils démêlent dans une œuvre d’art, dans la Sainte Famille ou dans l’Ensevelissement du Christ, dans le Laocoon ou dans l’Hercule Farnèse, les qualités qui rendent raison à la foule de ce qu’il y a toujours de vague et de confus dans la sincérité même de son admiration. Peu de phrases, beaucoup de faits. Assurément s’ils ont affaire avec Raphaël, ils n’omettront pas d’observer « qu’ayant à peindre saint Michel dans une action qui exprime la force et la puissance de Dieu, Raphaël a donné à sa figure une beauté mâle et vigoureuse, » parce qu’effectivement, il entre, si je puis ainsi dire, assez de pensée dans la peinture de Raphaël pour que le détail psychologique y vaille la peine d’être signalé. Mais s’ils ont affaire avec Titien, sans s’imposer l’étroite obligation de ne pas y parler d’autre chose, ils y admireront de préférence « l’artifice des couleurs et leur belle harmonie, » et ils insisteront longuement, avec une satisfaction visible et un plaisir d’hommes du métier, sur l’arrangement des jaunes et des bleus, des rouges et des verts, qui, par leur union ou leur contraste, concourent à cette harmonie de l’ensemble. C’est ce qu’il y a d’inestimable. Leurs raisons valent ce qu’elles valent. Elles sont bonnes ou elles sont mauvaises, mais ce sont des raisons d’artiste, et si quelquefois, comme à tout le monde, il leur arrive de prendre leurs préjugés pour des raisons, ce sont encore des préjugés d’art. Dans une dissertation sur l’Effet des ombres ils parlent donc en hommes qui connaissent les difficultés du clair et de l’obscur, et dans un discours sur l’Art de traiter les bas-reliefs ils apportent les argumens que leur a suggérés la pratique. Dominés avant tout par la nécessité de leur art, discutant avec leurs confrères de l’Académie royale, s’adressant à des élèves dont ils ont les progrès et le succès à cœur, ils demeurent sculpteurs ou peintres. Et quant aux grandes questions d’esthétique, bien loin qu’elles leur demeurent fermées, au contraire, ils les traitent comme elles doivent être traitées, c’est-à-dire a posteriori, selon que l’examen des œuvres les leur impose, et non pas pour les imposer aux œuvres, a priori, selon la méthode ordinaire aux esthéticiens de profession.