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exacte des quatorze conférences prononcées de 1669 à 1678 par le sculpteur Michel Anguier, et il a l’air de donner à entendre qu’il n’en serait arrivé jusqu’à nous que les titres. Mais les quatorze conférences d’Anguier sont à la bibliothèque de l’École des Beaux-Arts, et il en est au moins une, — Sur le corps humain considéré comme une forte citadelle, — qui, pour sa seule étrangeté, pour ce qu’Anguier lui-même en nomme le caractère « mystique et énigmatique » eût assez heureusement accompagné celle que M. Jouin nous a donnée. Un peu plus loin encore, M. Jouin reproduit l’analyse d’une conférence de Galloche, — Sur le Dessin et la Couleur ; — et, après nous avoir dit que Galloche aurait composé cinq conférences, il ajoute que, pour lui, sur les registres académiques, il n’a retrouvé trace que de quatre. Je puis l’assurer qu’elles existent toutes les cinq, et admirablement calligraphiées, et qu’il n’eût tenu qu’à lui de nous en donner le texte au lieu de la sèche analyse qu’il y a substituée. La nature même de ces erreurs en montre assez la gravité. M. Jouin, dans son commentaire, insinue perpétuellement que les discours ou conférences dont il n’a pas « retrouvé trace » ne doivent exister nulle part, ou même n’ont peut-être été jamais écrits. Le lecteur, mal informé, risque ainsi de croire qu’en fait de Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, il aurait là, dans le volume de M. Jouin, tout ce que les circonstances en ont épargné. Mais, au contraire, ce volume n’en contient qu’une faible, très faible partie, et ce qu’on en pourrait, ce qu’on en devrait publier est bien autrement considérable. Au lieu d’une seule conférence de Philippe de Champaigne, on en pouvait donner quatre. Au lieu de deux conférences de Nocret, on en pouvait donner cinq. Au lieu d’une conférence enfin de Michel Anguier nous avons dit qu’on en eût pu donner treize ou quatorze, et dont quelques-unes au moins, sur l’Hercule Farnèse ou sur le Laocoon, méritaient assurément, quelle qu’en puisse être aujourd’hui la valeur intrinsèque, d’être remises en lumière.

C’est que nous sommes en présence ici d’une tentative qui, lors même qu’elle aurait avorté, n’en demeurerait pas cependant moins importante au regard de l’histoire. On s’en va répétant que la critique d’art en France date seulement de Diderot, et beaucoup de gens professent qu’en même temps que le premier exemple, les Salons du philosophe nous en auraient légué l’inimitable modèle. Il n’en est rien. Mais ce qu’il faut dire, c’est que les Salons de Diderot ont jeté la critique d’art dans une voie fausse, tandis que cent ans avant lui les Conférences de l’Académie l’avaient dirigée dans la bonne, dans la vraie, dans la seule. L’Académie s’était peut-être exagéré l’utilité de la critique, dont l’action n’est jamais, ou rarement, immédiate et directe, quand elle s’était proposé « de tirer un résultat de chaque conférence et d’établir, sur les matières qu’on y agiterait, des maximes essentielles qui