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de vous en faire hommage. Avez-vous envie de l’acheter, il vous en demandera dix fois ce qu’elle vaut. Ils ont eux-mêmes conscience de leur fausse bonhomie. Ils ont baptisé du beau nom de namantsafa. andriana une vertu de leur façon qui consiste à se donner l’air de s’intéresser vivement à beaucoup de choses et de gens qui vous laissent tout à fait indifférent C’est pour pratiquer cette belle vertu qu’à peine des voyageurs débarquent-ils en quelque endroit, on les accable de questions : « Puisque vous voilà arrivés, nos chers amis, leur dit-on, nous vous demanderons d’abord comment se porte la reine Ranavalona, la souveraine du pays ? Nous vous demanderons ensuite comment se porte Raïnilaiarivony, le premier ministre ? De grâce, dites-nous, s’il vous plaît, comment se portent Raïnimaharavo, le plus grand des secrétaires d’état, et Ralaïtsirofo, le juge suprême ? Comment se portent aussi les parens de la reine et les douze femmes ? Comment se porte Tananarive ? Comment se portent les canons, les mousquets et les chrétiens de la belle province d’Imerina ? Et, par forme de conclusion, nous vous demanderons comment vous vous portez, nos chers amis, et comment se porte votre fatigue ? »

Les Hovas ont encore un autre usage dont il faut se défier. Ils dissimulent le plancher d’argile de leurs maisons sous des nattes assez élégantes que leurs femmes tissent avec beaucoup d’art. Quand une de ces nattes tombe en pourriture, ils ne l’enlèvent pas, ils la recouvrent d’une autre natte, et les nattes s’amoncellent sur les nattes. Invitent-ils un étranger à entrer chez eux, ils lui font l’honneur de lui en servir une neuve. Malheur à lui s’il la soulevait ! Il frémirait d’horreur en découvrant ce qu’elle cache. C’est par allusion à cet usage qu’ils appellent la duplicité dont ils se piquent dans leurs marchés d’un nom fort expressif qui signifie : l’art d’employer une natte propre pour cacher les autres.

Nous ferons bien d’être modérés dans nos conditions, mais aussi d’être fort attentifs. Le diplomate qui sera chargé de négocier notre paix avec les Hovas sera tenu d’examiner de très près le texte du traité qu’ils nous proposeront, de scruter le sens de chaque expression, de tourner et de retourner chaque mot, comme on soulève une natte pour s’assurer qu’il n’y a pas de pourriture dessous.


G. VALBERT.