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politique mondaine au service de l’évangile, les missions protestantes ont leurs jésuites, d’autant plus redoutables qu’il n’y a pas d’enseigne à leur boutique.

Cependant les missionnaires des deux confessions n’avaient pas tardé à reconnaître que la méthode des conversions individuelles ne les mènerait pas bien loin, que, dans une société autocratique comme celle des Hovas, le coup de génie serait de convertir le souverain, qu’en capturant cette seule conscience, ils prendraient la nation tout entière dans la nasse. À la pêche à la ligne qui ne préférerait la pêche au filet ? L’entreprise, après avoir été très difficile, l’était moins. Les souverains hovas avaient commencé par mépriser de tout leur cœur ces étrangers venus on ne sait d’où, qu’ils voyaient arriver dans des maisons flottantes. Ils traitaient ces aquatiques de têtards. Quand ils les connurent mieux, le mépris fit place à la crainte. On essaya de les éconduire ; pour se rendre inaccessible, il fut interdit d’ouvrir des routes entre la montagne et la côte. Mais à la crainte succéda par degrés l’admiration. On reconnut leur supériorité, le profit qu’on pouvait trouver à frayer avec eux. On conclut avec ces têtards des traités de commerce, on tâcha de les imiter, on fut tourmenté du désir de leur dérober leurs secrets, leurs rubriques. On pensa y parvenir d’abord en singeant leur costume, puis en apprenant leur langue. Cela ne suffisait pas, on en vint à se dire que le seul moyen de les égaler en puissance et en adresse était d’adopter leur religion. C’est de ce jour que le petit sac de sable perdit beaucoup de la considération dont il avait joui durant des siècles.

Mais les souverains hovas avaient un choix à faire : il fallait opter entre les deux confessions qui se disputaient leur conscience comme la plus désirable des proies. C’était un point de politique à résoudre. Protestans et jésuites travaillaient de leur mieux ; longtemps, la lutte fut indécise. Que d’intrigues traversées par d’autres intrigues ! Que de mines et de contre-mines ! Dans les premiers jours du règne de Radama II, un bruit avait couru qui contrista toute la Grande-Bretagne : on prétendait que le jeune roi s’était fait catholique romain et qu’il avait choisi un Français pour son premier ministre. Il n’en était rien. Radama avait l’humeur débonnaire, humaine et généreuse, le goût des réformes et de la tolérance. Il encouragea les chrétiens à instruire son peuple et il donnait volontiers patente à quiconque ouvrait une école. Ceux qui le connaissaient bien assuraient qu’il était déiste, qu’un de ses instituteurs avait lu l’Age de la raison de Paine et lui en avait inoculé les principes, qu’il croyait en Dieu, mais ne croyait pas à la bible. Par une de ses premières proclamations, il établit une entière liberté religieuse, déclarant à ses sujets qu’ils étaient libres de rester païens ou de se faire à leur choix mahométans, catholiques ou protestans. Il entendait, comme le grand Frédéric, que dans ses états