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odis, qui sont moins des idoles que des fétiches ou talismans en qui réside une puissance magique et de qui dépend la santé comme le bonheur des particuliers et de l’état. Nous tenons d’un courageux et très savant explorateur de Madagascar que ce ne sont point les Anglais qui ont appris aux Hovas à croire en Dieu, que depuis longtemps ils avaient donné à l’Être suprême deux noms dont l’un signifie créateur et l’autre le « Seigneur qui sent bon. » Mais ce même explorateur, M. Grandidier, dont l’ouvrage encore inachevé sur Madagascar fera époque dans cet ordre de travaux, déclare qu’il n’existe pas de peuple plus stupidement superstitieux que les Malgaches. Ils n’admettent pas que rien arrive naturellement ; bonheur et malheur, tout est dû aux talismans et aux sorts. « Est sorcier tout individu qui se distingue d’autrui par ses actions et par ses paroles, et un pauvre voyageur qui passe ses journées à recueillir des informations, à écrire, à regarder les astres, à causer avec le bon Dieu, comme ils le disent dans leur idiome pittoresque, ou à manier une foule d’instrumens extraordinaires, à collectionner des peaux d’animaux, à plonger des reptiles dans l’alcool, donne prise aux soupçons ; c’est un monstre contre lequel tout est permis. » Pendant son séjour dans l’état de Fihérénane, M. Grandidier fut traduit plus d’une fois en cour d’assises sous la prévention de sorcellerie. Il ne se tira d’affaire qu’en se conciliant l’amitié du roi, en contractant alliance avec lui par le solennel et redoutable serment du sang. Un missionnaire anglais lui a fait un crime de s’être prêté à cette comédie à laquelle il a dû son salut ; pour notre part, nous l’en remercions. Personne n’aurait pu écrire à sa place le livre qu’il prépare et qui fera honneur à la science française.

Autant les Hovas comme les autres tribus ont de crainte des sorciers, autant ils avaient de foi dans leurs prétendues idoles domestiques ou sampys et dans leurs fétiches nationaux, dont le plus glorieux, Rakelimalaza, qui protégeait ses adorateurs contre les crocodiles, les sorts et le feu, consistait tout simplement en trois petits morceaux de bois enveloppés de soie blanche. Une autre idole non moins vénérée, Manjakatsiroa, dont le nom signifie : N’ayez pas deux maîtres, ne faisait pas grande figure : c’était un petit sac rempli de sable. La première fois. que le souverain se montrait au peuple après son avènement, il tenait dans sa main le petit sac, et grâce à Manjakatsiroa, il n’y avait pas d’émeutes sous son règne. Aujourd’hui ce dieu ou ce saint est bien déchu de ses honneurs ; on ne veut plus en entendre parler à la cour de Tananarive, on l’y considère comme un intrigant qui ne valait pas l’huile de castor dont on l’oignait pour s’insinuer dans ses bonnes grâces. Ceux qui croient encore en lui et qui regrettent ses bienfaits en sont réduits à se cacher et à se taire.

Mais un peuple fétichiste qui change de religion ne fait souvent que