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siècles et transcrit les récits véridiques, pour que les neveux des orthodoxes connaissent le sort passé de la terre maternelle. » Les documens, papiers d’état, mémoires, correspondances, affluent de toute part dans les publications savantes et les revues. Les archives de la famille Vorontzof, dépouillées par M. Barténief, nous ont rendu entre autres trésors les lettres de Rostoptchine, ce Saint-Simon du Nord, pétri du même orgueil, de la même bile amère, du même génie cruel et primesautier que son grand cousin de Versailles. Ce volume de lettres[1] contient une rédaction complète et définitive du récit de la mort de Catherine, que M. de Ségur avait déjà fait connaître en France, dans son livre sur Rostoptchine ; ces pages célèbres dans l’histoire de la langue russe, peuvent soutenir la comparaison avec les chapitres de Saint-Simon sur les morts de Louis XIV et de ses enfans. D’autre part, une revue spéciale, l’Antiquité russe, exhume en ce moment les souvenirs d’un certain de San-glène, ancien directeur de la police secrète sous Alexandre Ier[2] ; ces souvenirs complètent sur quelques points le récit de Rostoptchine en ce qui concerne le passage du règne de Catherine à celui de Paul Ier. Enfin il y a toujours à apprendre dans les précieuses publications de la Société historique de Saint-Pétersbourg[3], qui font revivre tout le XVIIIe siècle russe. Je ne veux que traduire et relier entre eux ces divers témoignages ; de leurs traits épars l’imagination du lecteur composera facilement un tableau. Jadis ce tableau fût revenu de droit aux maîtres macabres ; en les nommant tout à l’heure, je ne doute pas d’avoir prévenu la pensée de chacun.


I

Il faut lire les mémoires contemporains, surtout ceux des petites gens qui vivaient en province, — Vigel, fils d’un commandant de place à Kief, Sanglène, enseigne à Réval, — pour comprendre quel était dans tout l’empire le prestige du nom de Catherine après un règne d’un tiers de siècle. C’était l’éblouissement qui avait frappé la France, cent ans auparavant, devant la grandeur de son

  1. Archiv Vorontzova, t. VIII.
  2. Rousskaia Starina, décembre 1882.
  3. Sbornik istoritcheskago obschestva, passim. Cette grande publication, entreprise il y a quinze ans, a déjà été conduite jusqu’au XXXVIIe volume. Elle contiendra tous les rapports de nos ambassadeurs au siècle dernier, relevés sur les originaux aux archives du quai d’Orsay, et imprimés en texte français. Ce sont les matériaux de notre propre histoire qui nous reviennent de Russie ; il convient d’en remercier l’intelligente activité de M. le secrétaire d’état Polovtzof et de ses collaborateurs, MM. Buitchkof et Stendman.