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manuscrits. Un d’eux était cet Enoch d’Ascoli, qui a probablement sauvé de la destruction et de l’oubli la Germanie de Tacite. Il fut enfin le vrai fondateur de cette immense collection de manuscrits et de livres qui est devenue la Bibliothèque vaticane.

M. Müntz paraît croire que, si l’essor de la première renaissance avait continué avec la même liberté et la même ardeur, elle aurait eu la force de défendre les traditions et le respect du passé contre les hardiesses et les destructions qui suivirent. Il déplore qu’à Nicolas V ait succédé, au lieu de Bessarion par exemple, un vieillard débile, le chef de la maison des Borgia. Cependant Calixte III ne régna que trois années, et Pie II, qui vint après, était certainement aussi, quoique avec moins de flamme sans doute que Nicolas V, un ami des arts et des lettres. M. Müntz se montre sévère pour Pie II. Il est vrai que ce pape sembla ne considérer Rome que comme un musée de ruines. Né Toscan, il édifia de préférence cette élégante Pienza où se conserve de nos jours, grâce à l’absence de réparations modernes, le pur cachet de l’architecture du XVe siècle. Mais quel esprit, vif et ouvert ! Appréciateur intelligent des œuvres du moyen âge sans méconnaître les œuvres antiques, il semblait avoir puisé cette indépendance de jugement dans ses nombreux voyages. Il sut estimer le talent de Giotto et l’art gothique ; il vante dans ses spirituels récits aussi bien les sculptures de la façade de la cathédrale d’Orviéto que l’architecture des vieilles églises d’Allemagne, depuis Lübeck jusqu’à Nüremberg. Poète, philosophe, littérateur, historien, comment ne pas reconnaître en lui un disciple et un interprète intelligent de la première renaissance ? Des artistes tels que Benozzo Gozzoli, l’habile peintre de San Gemignano et du palais Riccardi à Florence, tels que l’architecte Rossellino, auquel sont dues, probablement les constructions de Pienza, ou bien tels que les sculpteurs Paolo Romano, Isaïe de Pise, Mino de Fiesole, témoignent d’un progrès continu sous son règne.

La vérité est qu’il ne s’agissait bientôt plus de délicatesses florentines. Rome avait mis son empreinte sur la première renaissance, qu’elle allait conduire à la plénitude d’un triomphe voisin de l’excès. Oui certes, on peut reconnaître pendant l’essor du XVe siècle une école ou plutôt une influence romaine. Non-seulement des artistes romains se sont formés, — le livre de M. Müntz les a mis en lumière, — mais plusieurs de ceux qui étaient venus des autres parties de l’Italie ont vu le séjour de Rome modifier leur talent. Ils n’ont pas impunément échangé l’aria fina de l’Apennin ou de la Toscane contre le ciel puissant et les grands aspects de la ville éternelle. Peut-être y eut-il un contact trop immédiat avec les beautés antiques. Peut-être les conseils impérieux de l’admiration se