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poésie provençales en Italie. Une critique clairvoyante et précise, une très ferme méthode, un talent d’exposition remarquable, assurent à l’auteur de ces dissertations, déjà lauréat de l’Institut, un rang très distingué dans la culture et l’enseignement des langues et littératures romanes.

Les mémoires de M. Clédat sur Bertrand de Born, ceux de M. François Delaborde sur la Chronique en prose de Guillaume le Breton et de M. Élie Berger sur Richard le Poitevin, moine de Cluny, historien et poète latin du milieu du XIIe siècle, sont aussi d’importans services rendus à l’histoire littéraire grâce au bon usage des manuscrits de la Vaticane.


III

Nul doute que toute appréciation élevée, que toute direction intellectuelle et morale des intérêts de l’art ne relève de l’esthétique. L’esthétique est la science qui étudie, analyse et explique le principe et les règles du beau, en prenant pour point de départ la nature de l’esprit humain, et pour but un idéal non pas seulement de convention, non pas seulement imaginaire, mais dont plusieurs principaux traits ont été réalisés dans les plus belles œuvres qu’ait acclamées l’humanité. Une telle science repose d’abord sur un sentiment inné ; il faut à ce sentiment, pour se développer et se fixer, une éducation philosophique ; mais il doit invoquer aussi, entre autres élémens de développement et de culture, cette sorte de comparaison constante et pénétrante qu’instituent et recommandent la recherche et la critique historiques. La seule connaissance de l’histoire générale peut déjà beaucoup : elle suffit à montrer, par exemple, quels rapports unissent la civilisation et l’art chez les anciens Grecs, quel art différent a dû convenir aux anciens Romains, quel autre aux ardeurs religieuses du moyen âge en d’autres climats, et quel retour a dû résulter des réminiscences classiques dans les temps modernes. Le progrès général du sens historique a suffi de nos jours pour imprimer au goût public une direction nouvelle : nous l’avons vu s’ouvrir aux beautés de l’art grec avant Phidias, à celles du moyen âge et de la première renaissance. Que l’enseignement de l’esthétique, ainsi entendu et préparé, soit confié à un penseur élevé, à un écrivain exercé, et en même temps à un grand artiste, — tout ce qu’est M. Eugène Guillaume dans sa chaire du Collège de France, — et l’on peut en attendre une haute influence et de puissans effets. Mais le double progrès de l’esthétique et de l’histoire a donné naissance à une sorte de science nouvelle, l’histoire critique de l’art, science de laquelle il nous faut dire encore