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religieux comme, on veut, c’est qu’on ne se met pas impunément en conflit avec des cultes traditionnels, avec une église qui représente les croyances de millions d’hommes, et qu’en définitive, après avoir bien bataillé, on est inévitablement ramené, un jour ou l’autre, à la nécessité de la paix.

S’il est des Français sans esprit politique, sans prévoyance, qui se plaisent à ces tristes guerres fomentées par des passions de secte contre les croyances, presque partout c’est un sentiment de paix et de conciliation qui semble prévaloir dans les conseils des gouvernemens les plus indépendans de l’église romaine. En Russie même, où il y a eu si souvent des querelles avec le Vatican au sujet de la condition des catholiques de Pologne, on a senti le besoin d’arriver à un accord. Il y a eu dans les derniers temps des négociations suivies à Rome, et, en ce moment encore, on vient de voir un envoyé extraordinaire du pape, M. Vanutelli, figurer au sacre du tsar à Moscou. Le représentant du saint-siège a été reçu partout en Russie avec des distinctions particulières. Le ministre des affaires étrangères, M. de Giers, lui a ménagé un accueil plein de cordialité auprès du souverain ; mais le témoignage le plus éclatant, le plus décisif de cette sorte de retour à des sentimens plus pacifiques dans les pays agités par des conflits religieux, c’est certainement ce qui se passe en Allemagne, à Berlin, où le chancelier, après avoir inutilement négocié avec Rome, vient de prendre l’initiative d’un projet qui est à peu près l’abandon du Culturkampf, des lois persécutrices de mai 1873. M. de Bismarck a pu dire fièrement autrefois qu’il ne ferait jamais « le voyage de Canossa. » Il ne va pas à Canossa, si l’on veut, c’est-à-dire qu’il ne se soumet pas ; il agit même en toute indépendance en présentant de son propre mouvement un projet qui n’a pas été concerté avec le Vatican ; il ne va pas moins à son but, qui est la pacification religieuse, et s’il y va résolument, sans craindre de paraître se désavouer, sans attendre l’issue de négociations nouvelles, c’est qu’il en a assez de ces conflits sans fin qui le gênent dans toute sa politique.

Lorsqu’il y a dix ans, au lendemain de ses succès, M. de Bismarck engageait cette guerre qui s’est appelée le Culturkampf, pour laquelle il trouvait de si chauds, de si complaisans alliés dans les nationaux-libéraux, il n’avait sûrement pas l’intention de mettre sa puissance au service d’une idée de secte. Il craignait tout simplement de rencontrer parmi les catholiques des dissidences, des résistances dangereuses pour l’empire, pour l’unité allemande, qu’il venait de fonder par la diplomatie autant que par l’épée, et il faisait voter par le parlement cette législation de 1873, qui mettait un grand culte dans sa dépendance. Il s’armait de ce code de guerre et de persécution qui se résumait en quelques traits : obligation pour les évêques de soumettre toutes les nominations des curés et des desservans à l’autorité