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se réfugier, après des années d’attente, à l’Odéon, quand ils tiennent encore dans les limbes la Xanthippe de M. de Banville… Mais c’est trop s’emporter là-dessus : serviteur à la turlupinade !

Du moins, pour fêter l’anniversaire de Corneille, M. Perrin nous a donné une assez belle représentation. La soirée a commencé par Horace, joué prudemment vers sept heures, pendant le dîner des critiques ; elle s’est terminée par le Menteur, où MM. Delaunay et Got sont excellens. Un à-propos en vers de M. Emile Moreau, Corneille et Richelieu, s’est glissé dans l’intervalle. La donnée de ce dialogue est ingénieuse, et ce mérite n’est pas mince dans un genre si restreint et qui paraît épuisé. C’est vraiment une petite comédie qui n’est pas mal conduite du premier point jusqu’au dernier ; malgré certaine platitude des vers et certaine impropriété de la langue, elle a fait grand plaisir. MM. Laroche et Silvain, qui représentaient avec talent Richelieu et Corneille, ont recueilli des bravos où l’auteur avait le droit de prendre sa part. M. Moreau a feint que le poète, quelques années après le Cid, mandé chez le cardinal pour l’aider à terminer un plan de tragédie politique, obtient de lui la grâce du chevalier de Jars, condamné à mort comme conspirateur. Il l’obtient par un artifice que lui seul pouvait trouver : il improvise, pour remplacer un dénoûment cruel que le cardinal voulait donner à sa tragédie, un autre dénoûment, que nous reconnaissons pour celui de Cinna. Richelieu admire la clémence du héros et se compromet par cette admiration ; il voit trop tard le piège et reproche à Corneille sa malice :


Je vous suivais poète et vous restiez Normand !


Il est pourtant, cette fois, bon prince de l’église : le poète, en sortant, peut remettre les lettres de grâce à la fiancée du chevalier, qui se morfondait dans l’antichambre. Au cours de ce petit ouvrage, M. Moreau a placé entre ses vers quelques-uns des plus fameux de Cinna :


Prends un siège…
… Tu t’en souviens, et veux m’assassiner…
Soyons amis,.. c’est moi qui t’en convie…
Je suis maître de moi comme de l’univers, etc. .


Dans une comédie de M. Gondinet, les Cascades, Mlle Legault chantait comme une nouveauté la ronde II pleut, bergère, intercalée dans le Piccolino, de M. Guiraud ; « Ah ! s’écriait M. Saint-Germain, voilà un air qui deviendra populaire ! » De même, j’ose prédire à M. Moreau que ces vers au moins resteront.


Louis GANDERAX.