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M. Albéric Second, lorsqu’il écrivit son roman, avait prévu sans doute que M. Paul Ferrier serait heureux d’en tirer une pièce : il a donc ménagé cette crise au héros de la Vie facile. Aussi bien, il fut peut-être aidé à imaginer cette fable par quelque réminiscence du Feu au couvent. On connaît cette petite comédie sentimentale de Barrière), qui, eut tant de succès dans sa nouveauté ; quand le Théâtre-Français la reprit, il y a deux ans à peu près, il n’y eut personne qui, pour en rendre compte, ne mît une larme dans son encre. Au risque de passer pour n’avoir point l’âme belle, j’avoue que je préfère le Barrière des Faux Bonshommes et des Jocrisses de l’amour à celui-là. Cependant la donnée de l’ouvrage est agréable. Un viveur, le comte d’Avenay, pour qui le mariage n’a été qu’une formalité du veuvage, a mis depuis quinze ans sa fille Adrienne au couvent. Un matin qu’il dort sur un canapé, entre une nuit passée au bal et un duel, — au milieu d’un rêve où flottent les images d’une coquette, Mme d’Alizy, et d’une danseuse, Mlle Antonia, — il est soudain réveillé par un gros baiser, un baiser de pensionnaire. C’est Adrienne qui arrive à l’improviste : le feu a pris cette nuit au couvent, et l’on a renvoyé toutes les fillettes dans leurs familles. Tandis que le comte se frotte les yeux, Adrienne commence à jaser ; elle continue, pendant qu’il range aux quatre coins de son salon tout ce qui pourrait offusquer des regards innocens : romans, tableaux, statuettes… Il écoute docilement l’éloge d’une sous-maîtresse qui possède les qualités du cœur que Mme d’Alizy ne possède pas. Cet innocent babil lui fait oublier son duel qu’un ami vient lui rappeler. Ciel ! dans une heure, Adrienne sera-t-elle orpheline ? Le comte la confie à son ami pour qu’ils, occupent ensemble la scène pendant le duel. Ils l’occupent si heureusement que lorsque le comte revient sain et sauf, sur-le-champ il les fiance ; pour lui, l’auteur nous permet d’espérer qu’il épousera la sous-maîtresse, laquelle possède les qualités du cœur que Mlle Antonia ne possède pas.

Le comte de Trévisan, comme le comte d’Avenay, — la noblesse abonde sur les planches, — est un homme de plaisir ; à la tombée de la jeunesse, il ne sent sur ses épaules le poids d’aucun devoir. Il a cependant une fille, mais sans être veuf. Georgette est née de ses amours avec une danseuse. Ce n’était pas une créature vulgaire que la mère de Georgette : c’était une de ces danseuses que le ciel prête à la terre et qu’il lui reprend aussitôt séduites ; aussitôt, je me trompe : il faut qu’elles aient eu le temps de donner une fille à leur séducteur, le héros de la comédie. D’ailleurs, pour un mauvais sujet, le père de Georgette est meilleur que la plupart : d’ordinaire, au moins dans le monde, des coulisses, on se prend à douter de la fidélité de sa maîtresse le jour qu’elle est enceinte ; le comte de Trévisan n’a pas soupçonné la sienne. Aidé des conseils de Montgiraud, il a recueilli l’enfant ; il est, vrai que, malgré ces conseils, il ne l’a pas reconnue ; il n’a même jamais