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ans avant de penser à prendre mari, et la chambre des pairesses avait fait une loi contraignant les garçons d’épouser, sous peine de détention perpétuelle. Ils s’exécutaient en rechignant, se montraient époux froids et ennuyés. La difficulté de gagner leur cœur était devenue un des lieux-communs de la littérature d’imagination. Ce n’est pas tout. Le mécontentement de la population mâle commençait à gagner la jeunesse de l’autre sexe. Les Juliettes occupées à passer des examens et à courir après une position sociale trouvaient inique que, pendant ce temps, leurs tantes et grand’tantes leur enlevassent leurs amoureux. On avait beau faire sonner à leurs oreilles les grands mots de dignité, de relèvement, d’indépendance, les pauvrettes ne pouvaient s’empêcher de soupirer en pensant au temps où d’occupation sérieuse de la vie était de flirter. En vain leur faisait-on valoir l’immense considération que le sexe fort, depuis la grande révolution de l’émancipation, éprouvait pour l’autre sexe pris en masse ; elles auraient préféré d’être moins considérées en masse et d’avoir plus de tendresse en particulier. Rendre les maris amoureux était devenu une question vitale pour le royaume. En attendant qu’elle fût résolue, la population décroissait avec une rapidité inquiétante.

Sur ces entrefaites, il y eut une crise ministérielle à Londres. Le cabinet whig tomba, précisément sur la question des hommes. Son chef, Mlle Constance de Carlyon, était une charmante personne que des facultés exceptionnelles avaient portée aux plus hautes fonctions de l’état à un âge où ses contemporaines étaient encore sur les bancs. Elle avait fait preuve au pouvoir d’idées singulièrement larges et libérales. Elle s’était, entre autres, déclarée partisan d’une amélioration de la condition de l’homme, sur quoi les matrones de la chambre des pairesses, qui avaient tout à perdre et rien à gagner à un changement, se mirent dans l’opposition et renversèrent le ministère. La chambre des communes n’existait plus. Dès que les femmes y avaient été entre elles, il s’y était introduit de tels abus de langage qu’on se serait cru dans certains conseils municipaux du continent. Le gouvernement britannique avait été obligé de la supprimer.

L’opinion de Constance sur la nécessité de relever le sexe mâle ne fut nullement ébranlée par son échec parlementaire. C’était un esprit ferme en ses desseins, surtout lorsque son intérêt personnel était en cause, — elle ressemblait en cela à la plupart des ministres masculins ; — et elle avait un intérêt personnel pressant dans l’affaire des droits des hommes. Elle ne raisonnait pas sur la question d’après des considérations philosophiques abstraites et sèches, elle raisonnait avec son cœur, selon l’habitude qui rend son sexe si aimable et si illogique, et son bon petit cœur lui soufflait qu’il y aurait de l’inhumanité à ce que son cousin Edward, avec ses vingt-deux ans et sa jolie figure,