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qui est quelque chose, et il n’y avait pas de raison pour que le nouveau régime ne durât point, sans un vice incurable qu’une distraction des fondatrices les avait empêchées d’apercevoir.

Dans les contes de fées, il arrive souvent que tous les malheurs du prince Charmant ou de la princesse Belle-Étoile viennent de ce que le roi leur père et la reine le ur mère ont oublié d’inviter au baptême l’une des fées. L’immortelle accourt irritée et punit sur l’enfant l’étourderie des parens. Les gracieuses usurpatrices de M. Walter Besant avaient fait comme le roi et la reine des contes, et la fée qu’elles avaient oublié d’inviter au baptême de leur émancipation était la plus puissante de toutes. On la nomme la Nature, et l’univers entier obéit à ses décrets ; mais les champions des droits des femmes négligent à dessein de la consulter. Ils craignent que sa réponse ne les gêne pour soutenir que les deux sexes ont été créés en vue des mêmes fins, qu’ils ont reçu en naissant les mêmes attributions, que c’est par une injustice de la société que les pères sont les pères et que les mères sont les mères, et qu’il suffirait d’une bonne loi pour changer tout cela.

Les Anglaises de l’avenir n’avaient pas demandé à la Nature si elle verrait des inconvéniens à ce que les deux sexes échangeassent leurs rôles. Cette inadvertance amena un désastre. Depuis que les professions étaient exclusivement entre les mains des femmes, une jeune fille ne pouvait songer à s’établir qu’après s’être fait une position lui permettant d’entretenir une famille. La plupart d’entre elles, grâce à l’encombrement toujours croissant des carrières, arrivaient à trente ans et au-delà avant d’être en situation de se marier. L’antique usage leur accordait alors, pour prix de tant d’efforts, un époux assorti, grisonnant, d’âge morose et de passions amorties. Elles trouvèrent l’usage barbare et sot. Les hommes, du temps qu’ils étaient les maîtres, ne s’y étaient jamais soumis pour leur compte ; on avait vu continuellement, sous leur règne, des barbons épouser de jeunes tendrons ; le contraire était de bonne guerre. Sur cet admirable raisonnement, les Anglaises se mirent à épouser de petits jeunes gens que la cupidité ou l’ambition des familles leur sacrifiaient, et l’Angleterre fut peuplée d’Agnès et de Rosines barbus cherchant à échapper à des Arnolphes et des Bartholos en jupons. Le plus grave, c’est qu’ils n’échappaient pas.


Désir de nonne est un feu qui dévore,
Désir d’Anglaise est cent fois pire encore.


D’ailleurs les jeunes gens n’avaient pas le choix. Les demoiselles étaient toutes dans le même cas, obligées de travailler quinze ou vingt