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même chose. On lui répliquait que la force brutale était toute la différence et qu’on se chargeait, à armes égales, de lui prouver qu’on le valait bien. Les Américains se laissèrent persuader de tenter l’expérience. Ils firent place aux femmes sur les bancs du collège, dans les chaires d’enseignement, aux écoles de médecine, dans les bureaux des administrations publiques. Même des états de l’Ouest les admirent à faire partie du jury. Ce dernier essai ne réussit point. Les femmes jugeaient avec le sentiment et la passion, sans se soucier des preuves ; il fallut leur retirer le jury. Le Connecticut, le Wisconsin et peut-être d’autres encore, les ont autorisées à être du barreau. Le Nebraska, où elles réclamaient le droit de vote, a rejeté leur demande par un scrutin qui laisse de l’espoir pour l’avenir. Les Américaines ont cause gagnée si elles y mettent de la patience et de l’entêtement.

En Europe, les affaires des femmes sont dans des situations très diverses, selon les contrées. Les états du Sud n’y pensent guère. L’Allemagne ne s’abaisse pas à s’occuper des griefs féminins. Elle n’a pas oublié qu’un philosophe en qui elle a beaucoup de confiance, Schopenhauer, a comparé agréablement les femmes aux singes sacrés de Bénarès, qui se croient tout permis, et prêché le rétablissement de la polygamie pour rabattre le caquet à ces femelles arrogantes et imbéciles. La France, malgré toute son indulgente tendresse pour le sexe charmant auquel les philosophes allemands n’entendent rien, la France n’a jamais pu prendre au sérieux l’idée des droits des femmes. Les efforts éloquens des oratrices de réunions publiques la laissent inébranlable dans sa foi au vieux dogme :


Du côté de la barbe est la toute-puissance.


Il est vrai que, dans les dernières années, un souffle d’hérésie a passe çà et là sur nos têtes. On a compté un certain nombre de conversions à la doctrine de la similitude intellectuelle des deux sexes, et quelques esprits chagrins se sont demandé s’il était tout à fait sûr que nos petites filles ne seraient ni députées, ni avocates, ni notairesses. C’est être, grâce à Dieu, trop prompt à prendre l’alarme ; nous ne courons pour l’instant aucun danger. Le seul pays d’Europe sérieusement menacé est l’Angleterre, qui a dû, comme les États-Unis, ouvrir ses universités aux filles, et où la chambre des communes a déjà été appelée plusieurs fois à discuter un bill sur les droits électoraux des femmes. Un parti actif et bien organisé entretient chez elle ce que nos voisins appellent une « agitation, » en faveur du sexe injustement sacrifié par la loi et les mœurs.

L’âpreté des Anglaises à forcer l’entrée des carrières masculines tient à une situation particulière. L’excédent de la population féminine