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prêtres, des hommes du monde et des hommes de cabinet, des collectionneurs, des pionniers, des philosophes, des praticiens, les uns spiritualistes et chrétiens, les autres positivistes, ceux-ci partisans résolus de la doctrine de l’évolution, ceux-là enclins à l’attaquer, ont également travaillé à « faire du préhistorique, » c’est-à-dire à réunir tous les indices, toutes les observations, tous les objets qui se rapportent à l’existence de l’homme dans les temps antérieurs à l’histoire, — alors que notre espèce n’était en possession ni des arts ni des procédés dont la civilisation est sortie, ou ne les exerçait que d’une façon rudimentaire et sans pouvoir transmettre le souvenir de ses actes.

Le préhistorique est nécessairement antérieur à toute chronologie fondée sur une supputation des événemens qui intéressent l’homme ; mais, en dehors de la chronologie positive, existe-t-il des moyens qui permettent de remonter au-delà de la tradition historique et d’établir la durée au moins relative des événemens, alors que l’homme, déjà vivant et conscient comme individu, était inconscient en tant que corps social et incapable de mesurer la durée, de même qu’il ignorait les bornes de l’espace ? C’est là une des questions que M. de Mortillet a dû traiter, et bien qu’il ne l’ait abordée qu’à la fin de son ouvrage, nous en toucherons quelques mots au début même de cette étude, afin de mieux faire saisir, avec les difficultés du sujet, les termes précis sur lesquels il repose.


I

Aussi loin qu’on peut remonter en s’appuyant sur des textes, des inscriptions, des monument, enfin sur des traditions qu’il n’est guère permis de suspecter absolument d’erreur, l’Égypte ancienne nous amène à cinq mille ans avant Jésus-Christ. C’est la date probable du règne de Menés, le fondateur de la première dynastie ; mais, avant Menés, dit un récent historien, résumant les travaux antérieurs[1], « il existait, dans la vallée du Nil nouveau, une organisation égyptienne, une civilisation spéciale. Il y avait sur les bords du fleuve de vastes cités, des constructions importantes. » Menés sortait de Thinis ou Théni, ville d’Osiris, située un peu au nord de Thèbes et non loin d’Abydos. Il bâtit Memphis, dont il fit sa capitale, mais pour arriver jusqu’à lui en partant des premiers essais de colonisation dans la vallée du Nil, ce n’est pas trop assurément que d’ajouter au chiffre d’années que nous venons de mentionner un chiffre égal, et d’admettre ce passé de dix mille ans attesté par

  1. Histoire universelle : les Égyptes, par M. Marius Fontane, ch. V, p. 75. Paris, 1882, Lemerre.