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assez riche ; à leurs cliens elle risquerait de donner des nausées rétrospectives.


I

Toute marchandise peut être falsifiée, c’est-à-dire qu’un marchand malhonnête peut toujours livrer autre chose que ce qu’il annonce. Les métaux, les étoffes, les cuirs, les vernis, les drogues de parfumerie ou de pharmacie, les savons, les huiles, etc., peuvent en réalité différer étrangement de ce que le nom et l’apparence de l’objet nous font croire. Mais le plus fâcheux, c’est quand les falsificateurs s’attachent avec prédilection aux denrées alimentaires. Or, c’est de ce côté que leur science a fait le plus de progrès. Et parmi les denrées alimentaires le plus fréquemment et plus habilement frelatées sont le fait et le vin : le lait, qui devrait nous aider à élever des enfans vigoureux ; et le vin, qui devrait soutenir et ranimer les forces de l’homme fait. S’il y a beaucoup d’enfans rachitiques et s’il y a beaucoup d’hommes abrutis par l’alcoolisme, le mal ne vient pas seulement des excès et des mauvaises mœurs ; les falsificateurs ont bien leur part de responsabilité.

Sans parler encore du fait et du vin, nous avons eu l’idée, en parcourant la table du beau livre de M. Baudrimont, de dresser le menu d’un dîner tel qu’on peut le faire à Paris. Il est vrai qu’on jouerait de malheur, si l’on trouvait réunis dans le même dîner tous les plats falsifiés. Mais enfin cela peut être ; et, en tous cas, si l’un des services manque, on a bien des chances de rencontrer l’autre. Nous allons prendre le rôle du médecin de Sancho Pança qui faisait enlever tous les plats, disant : « Celui-ci est trop chaud’ ; celui-là est trop froid. Ici il y a trop de sel, et là-bas trop de poivre ; » et nous aurons à donner des raisons bien autrement graves de ne manger de rien.

Les Parisiens aiment assez le potage au tapioca. N’en prenez pas. En théorie, le tapioca est une fécule extraite de la racine du Janipha manihot, plante de la famille des euphorbiacées, qui pousse au Brésil. En pratique, on ne va pas toujours le chercher si loin. On prend de la fécule de pommes de terres imbibée d’eau et on la projette sur des plaques de cuivre chauffées à 100 degrés. On obtient ainsi une farine en gros grumeaux, quelques-uns rougeâtres, et cette farine conserve de très notables quantités de cuivre. Il ne faut pas davantage, comme hors-d’œuvre, accepter des cornichons. Ils sont d’un vert admirable. C’est encore au cuivre qu’ils doivent cette belle coloration : l’épicier les a fait confire dans des bassines de cuivre rouge