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collègue de Précy au conseil des cinq cents, appela l’année suivante, dans la Dordogne, le comte de Beaumont. Son père, sa mère, sa sœur n’y habitaient plus. Le zèle des autorités locales se réveilla ; une visite domiciliaire eut encore lieu ; nouvelle intervention de Précy, nouvelle lettre de lui au ministre de la police (20 germinal an VII), dans laquelle, rappelant la précédente, il offre de communiquer les pièces et se porte fort que Beaumont se présentera dès son retour à Paris. Nous ne voyons pas qu’une suite ait été donnée à ces dernières menaces.

C’est alors que Pauline de Montmorin apprend tous ces incidens. Si nous anticipons ainsi sur les événemens, c’est que M. de Beaumont a si peu tenu de place dans la vie de sa femme, et Mme de Beaumont si peu de place dans la vie de son mari, que nous avons hâte de clore l’histoire, si courte, du reste, de leur mariage. Le meilleur des amis de Pauline était en ce moment Joubert. Nous dirons comment ils s’étaient rencontrés et comment cette amitié de tous les instans avait pris toutes les nuances d’un attachement passionné, sans être pourtant de l’amour. Elle l’avait averti de sa ferme résolution de reprendre la liberté complète de sa personne, humiliée, à cause des procès nécessités par la réintégration dans ses propriétés, de solliciter des procurations d’un homme qu’elle n’estimait pas. N’y avait-il pas aussi dans cette âme droite un autre scrupule ? Une allusion dans une lettre à Fontanes nous le laisserait croire. Chateaubriand venait de lui être présenté ; elle s’était jetée tout entière dans cette affection, sans regrets comme sans réserves, en femme du XVIIIe siècle qu’elle était, mais restant au fond très grande dame. Il lui répugnait, en aimant, d’avoir les apparences d’un lien qui ne lui permît pas de s’honorer hautement d’un absolu dévoûment à ce charmeur qui l’avait transformée, et dont l’étrangeté d’allures, de ton, de style et de pensées faisait le plus complet contraste avec le milieu dans lequel elle s’était élevée.

Le divorce fut prononcé par consentement mutuel en mars 1800. « Etes-vous bien démariée ? lui écrivait Joubert alors à Montignac, chez sa mère. Si vous ne voulez pas qu’on vous dise mademoiselle, prenez le nom de Saint-Hérem. Au couvent que vous aimiez tant, on vous appelait Saint-Hérem. Mme de Saint-Hérem vous siéra fort bien. Une Mme de Saint-Hérem est une Montmorin voilée. » — Et puis arrive sous la plume délicate de cet ami des belles choses, cet argument le plus décisif pour un lettré : « Mme de Sévigné, qui, comme vous le savez, m’est toutes choses, parle d’ailleurs des Saint-Hérem. Enfin ou cachez votre nom, ou ne cachez pas votre filiation, à laquelle je tiens beaucoup. » Quoique divorcée, Pauline signait toutes ses lettres Beaumont-Montmorin. Mais dans l’intimité, Mme de Krudner l’appelait toujours Mme de Saint-Hérem. M. de Beaumont