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M. d’Ossun est incapable, à ce que vous m’avez dit, mais il est sourd, mais… » Le roi, sentant que l’humeur s’emparait de lui, n’en dit pas davantage et se retira brusquement dans son cabinet. C’est ainsi que l’ambassade la plus importante, avec celle de Vienne, fut donnée.

La double politique extérieure qui devait être si dangereuse pour le malheureux Louis XVI et pour son ministre, l’administration clandestine des affaires étrangères, avait commencé à la fin du règne précédent. Lorsque M. de Saint-Priest, nommé par M. de Choiseul, était sur le point de se rendre à son poste d’ambassadeur à Constantinople, il reçut un billet du comte de Broglie, qui le priait de passer chez lui. M. de Saint-Priest s’y rendit et le comte lui remit une lettre de la main du roi ; c’était l’ordre de communiquer à M. de Broglie les instructions qu’il venait de recevoir et de lui transmettre à l’avenir copie des dépêches qui lui seraient adressées ainsi que de ses réponses. Cette habitude d’être instruit de tout à l’insu du ministre ne fit que se développer de 1789 à 1792 ; à côté de l’ambassadeur constitutionnel se tenait un représentant de Louis XVI et de la reine. Ces agens étaient connus si bien qu’en 1790, M. de Ségur, nommé à Vienne, déclara que M. de Breteuil ayant déjà dans ce poste la confiance personnelle du roi, il ne pouvait accepter. Montmorin était si avant dans l’amitié du roi qu’il eut moins que personne à redouter cette méfiance ; il devait plus tard, cependant, subir pour lui-même les périlleuses conséquences d’une double politique.

La cour d’Espagne était plus solitaire que jamais, l’Escurial plus assombri encore par les formalismes d’une étiquette rigide. Montmorin y montra de la gravité sans pédantisme et de la dignité sans morgue. La froideur de ses formes de grand seigneur ne déplaisait pas. Personne même, si l’on écoute les mauvaises langues de Versailles, n’aurait pu faire mieux que lui auprès d’un monarque dont la tête était absolument dérangée. Un conseil de régence venait de se former à Madrid, sous la présidence du prince des Asturies, et notre ambassadeur avait soutenu, avec autant de fermeté que de tact, la politique difficile créée à la France par l’un des événemens les plus importans du XVIIIe siècle, la guerre d’Amérique. C’est cette fermeté qui donna naissance à une calomnie, colportée par les pamphlets et les journaux, sous la révolution, à savoir que Montmorin avait été, dans une altercation, souffleté par le prince des Asturies et n’avait pas demandé raison de cette offense.

La cour de Versailles avait été saisie d’une offre de médiation par la cour de Vienne. Tandis que l’Angleterre l’avait acceptée avec empressement, M. de Vergennes, mécontent de la base principale qui était l’abandon de la cause des insurgens d’Amérique, alléguait