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L’existence qu’y menait Jackson dans la (période qui nous occupe a été décrite par un de ses amis et de ses hôtes, la colonel bornas Benton. « Jackson, dit-il, s’était à cette époque retiré de la vie publique ; il était dans une disposition d’esprit bien connue des hommes d’un talent supérieur qui ne trouvent pas de théâtre propre au développement de leurs facultés. C’était alors un vigilant agriculteur, surveillant par lui-même tous les détails de son exploitation, s’assurant personnellement du bon état de ses champs et de ses clôtures, veillant à ses approvisionnemens et s’occupant avec sollicitude des besoins de ses esclaves. Sa maison était hospitalière ; elle était constamment ouverte à ses amis et à ses relations ; tous les étrangers qui visitaient l’état y recevaient le meilleur accueil, et le séjour en était rendu particulièrement agréable par la parfaite harmonie du caractère de Mrs Jackson avec le sien[1]. »

Les deux époux vivaient, en effet, étroitement unis dans ce paisible intérieur. Ils s’occupaient en commun de l’administration du domaine ; le soir, après le souper, ils avaient coutume de s’asseoir en face l’un de l’autre au coin du foyer, fumant tous deux silencieusement de longues pipes de terre, entourés des neveux et nièces de Mrs Jackson, qui, à défaut d’enfans, formaient pour eux une famille d’adoption. Le caractère violent de Jackson s’adoucissait dans fa vie domestique, et il témoignait surtout une tendre : affection aux enfans, qu’il aimait à voir jouer autour de lui.

Il vivait depuis huit ans dans cette laborieuse, et tranquille retraite lorsque les événemens l’appelèrent sur un nouveau théâtre et lui ouvrirent une éclatante destinée.


III

Une profonde irritation contre l’Angleterre avait survécu dans l’esprit du peuple américain aux luttes de l’indépendance. Washington et les fédéralistes s’étaient efforcés, non sans compromettre leur popularité, de combattre l’ardeur de ces ressentimens. Mais l’élection de Jefferson, en consacrant l’avènement au pouvoir du parti républicain[2], inaugura une politique extérieure à la fois sympathique à la France et ouvertement hostile à l’Angleterre.

Les événemens précipitèrent une rupture que devait fatalement

  1. Thirty years’view, tome Ier, page 736.
  2. C’était ainsi qu’on désignait alors le parti qui prit plus tard le nom de parti démocratique, sous lequel il devait exercer sur les destinées des États-Unis une si profonde et si durable influence.