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âme de patriote, à la mémoire des luttes et de la conquête de l’indépendance de son pays.

Dès que ses forces le lui permirent, il alla demeurer chez un de ses cousins, sellier de son état, et y travailla quelque temps avec lui. Mais il ne tarda pas à renoncer à ce travail manuel, et il retourna au lieu où s’était écoulée sa première enfance pour y diriger une petite école. Son instruction personnelle était trop bornée pour qu’il pût espérer de grands succès dans la carrière de l’enseignement. Cependant il y gagna quelque argent, et ces modestes économies lui permirent de se livrer à l’étude pratique du droit.

La paix venait d’être conclue avec l’Angleterre et l’indépendance des États-Unis était irrévocablement conquise. Les légistes américains avaient joué un grand rôle dans la période de luttes qui venait de se terminer ; ils allaient en remplir un plus considérable encore dans la pratique et le développement des institutions nouvelles. Accoutumés par l’étude des lois à remonter aux principes du gouvernement, préparés par le respect des précédens qui forment la base de la jurisprudence anglaise à maintenir l’esprit de tradition contre les entraînemens populaires, également propres, à raison de leurs habitudes de discussion publique et d’obéissance à la chose jugée, apprendre part à la confection des lois et à en assurer l’exécution, ils devaient former la classe politique supérieure et, comme l’a dit Tocqueville, l’aristocratie véritable de la république des États-Unis. Cette prédominance nécessaire des hommes de loi dans la démocratie américaine frappait déjà tous les esprits clairvoyans, et de toutes parts de jeunes ambitions se sentaient attirées vers une profession qui semblait de voir ouvrir à la fois à des hommes laborieux et actifs le chemin de la fortune et l’accès de la vie publique. Ce fut dans ces dispositions que Jackson se rendit à Salisbury, petite ville de la Caroline du Nord et qu’il entra dans l’étude d’un solicitor nommé Spruce Mac Cay, chez lequel il resta deux ans. L’exiguïté de ses ressources et les lacunes de son éducation antérieure ne lui permettaient pas de se livrer à des études théoriques de jurisprudence, mais il acquit l’expérience des affaires et les notions pratiques de procédure indispensables à l’exercice de la profession d’avocat, et il obtint, en 1787, l’autorisation d’exercer cette profession auprès des cours de la Caroline du nord.

C’était alors un grand jeune homme de vingt ans, d’une taille élevée et assez élégante ; une épaisse chevelure d’un blond ardent encadrait sa longue et maigre figure aux traits irréguliers mais expressifs ; ses yeux bleus au regard fixe et perçant révélaient la pénétration de son intelligence, la violence de son caractère et pardessus tout l’indomptable énergie de sa volonté. C’était un excellent