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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

bruits de la rue, le tracas des relations, les importuns qu’il faut recevoir ou visiter, les mauvais vers qu’il faut entendre, vous enlèvent le meilleur de votre temps ! Il serrait donc, dans sa valise, Platon avec Ménandre, emportait l’œuvre commencée, promettant de faire merveille, et partait pour Tibur. Mais, quand il était chez lui, ses belles résolutions ne tenaient pas. Il avait bien autre chose à faire que de s’enfermer dans son cabinet d’étude ! Il lui fallait causer avec son fermier et surveiller ses travailleurs. Il allait les voir à l’ouvrage, et quelquefois il y mettait lui-même la main. Il enfonçait la bêche dans le champ, il en ôtait les pierres, au grand amusement des voisins, qui admiraient à la fois son ardeur et sa maladresse,

Rident vicini glebas et saxa moventera.


Le soir, il recevait à sa table quelques propriétaires des environs. C’étaient de braves gens, qui ne disaient pas de mal du voisin, et n’avaient pas pour unique conversation, comme les élégans de Rome, de parler des courses ou du théâtre. Ils traitaient des questions plus sérieuses, et leur sagesse rustique s’exprimait volontiers en proverbes et en apologues. Ce qui plaisait surtout à Horace dans ces dîners de campagne, c’est qu’on s’y moquait de l’étiquette, que tout y était simple etfrugal, qu’on ne se croyait pas tenu d’obéir à ces sottes lois que Varron avait rédigées et qui étaient devenues le code de la bonne compagnie. On se gardait bien d’élire un roi du festin, qui imposât aux convives le nombre des coupes qu’il fallait vider. Chacun mangeait à sa faim et buvait à sa soif : c’étaient, dit Horace, des repas divins : O noctes cœnœque Deum !

Cependant il ne restait pas toujours chez lui, quelque plaisir qu’il trouvât à y être. Cet homme rangé, régulier, pensait qu’il faut mettre de temps en temps quelques irrégularités dans sa vie. N’est-ce pas un sage de la Grèce, Aristote, je crois, qui recommande, dans l’intérêt de la santé, qu’on se permette un excès par mois ? Cela sert au moins à rompre les habitudes. C’était aussi l’opinion d’Horace : quoiqu’il fût le moins fou des hommes, il trouvait assez agréable de faire une folie à l’occasion : diilce est desijjere in loco. Avec l’âge, ces folies étaient devenues moins vives et plus rares ; il aimait pourtant toujours à interrompre par quelques équipées de plaisir la sage uniformité de son existence. Il retournait alors à Pféneste, à Baïes, à Tarente, qu’il avait tant aimées et tant visitées pendant qu’il était jeune. Une fois, il fut infidèle à ces vieilles affections et choisit pour but de son voyage des lieux qui lui étaient nouveaux. Voici quelle fut l’occasion de ce changement. Un médecin grec, Antonius Musa, venait de guérir Auguste d’une très grave