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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

voir, il termine sa lettre en disant qu’il l’a écrite derrière le temple en ruine de Vacuna,

Hiec tibi dictabam fanum post putre Vacunae.


Vacuna était une déesse fort honorée chez les Sabins, et Varron nous dit que c’était la même qu’on appelait à Rome la Victoire. Or, on a retrouvé, près du village, une belle inscription qui nous apprend que Vespasien a relevé à ses frais le temple de la Victoire, que l’âge avait presque détruit : jEdem Victoriœ vetustate. dilapsamsua impensa restituit. La coïncidence a fait penser que l’édifice relevé par Vespasien est celui qui tombait en ruine du temps d’Horace ; en le réparant, l’empereur a donné à la déesse son nom romain à la place de l’autre qu’on ne comprenait plus. Aujourd’hui l’inscription est encastrée dans les murailles du vieux château, et la place voisine a reçu des habitans le nom de Piazza Vacuna : Horace n’est donc pas tout à fait oublié dans ce pays qu’il habitait il y a quelque dix-huit siècles.

Il faut monter à Roccagiovine si l’on veut connaître au naturel ce que sont les villages de la Sabine. Rien n’est plus pittoresque, tant qu’on se contente de les regarder de loin. On en est charmé lorsqu’on les aperçoit de la vallée, couronnant quelque haute montagne et se serrant autour de l’église ou du château. Mais tout change dès qu’on y pénètre. Les maisons ne sont plus que des masures, les rues que des ruelles infectes où le fumier sert de pavé. On n’y peut faire un pas sans rencontrer des porcs qui se promènent. Dans toute la Sabine, les porcs sont les maîtres du pays. Ils ont le sentiment de leur importance et ne se dérangent pour personne. La rue et quelquefois la maison leur appartiennent. 11 en devait être tout à fait de même du temps des Romains. Alors aussi ils faisaient la principale richesse de la contrée, et Varron n’en parle jamais qu’avec le plus grand respect. J’en vois un, sur une place, qui se vautre avec un air de déhce dans une mare noirâtre, et je me souviens aussitôt de cette phrase charmante du grand agriculteur : (i Ils se roulent dans la fange, ce qui est pour eux une manière de se délasser, comme aux hommes de prendre un bain. » Ici, du reste, l’antiquité se retrouve partout. Les femmes que nous rencontrons sont presque toutes belles, mais d’une beauté vigoureuse et virile. Nous reconnaissons ces vaillantes Sabines d’autrefois, brûlées du soleil, habituées aux plus lourdes tâches. Elles aident encore aujourd’hui leurs maris aux travaux des champs. J’entrevois, au fond de la vallée, un chemin de fer en construction ; les femmes y sont mêlées aux ouvriers et portent comme eux des pierres sur la tête. Il n’y a guère d’hommes dans le village, à l’heure où nous le traver-