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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

on y enterrait les esclaves et l’on y faisait les exécutions capitales. Personne, à Rome, n’aurait consenti à y loger. Mécène, qui, comme on vient de le voir, se plaisait à ne rien faire comme les autres, y acheta de vastes terrains qu’il eut à très bon compte, planta des jardins magnifiques, dont la réputation a duré presque autant que l’empire, et fit construire une tour qui dominait tout l’horizon. Ce fut sans doute une grande surprise à Rome quand on vit ces constructions somptueuses s’élever dans le lieu le plus mal famé de la ville ; mais ici encore cet esprit de contradiction, que nous avons remarqué chez Mécène, le servit bien. L’Esquilin, quand il fut débarrassé de ses immondices, se trouva être beaucoup plus sain que les autres quartiers, et l’on nous dit que lorsque Auguste avait pris la fièvre au Palatin, il allait, pour la soigner et la guérir, habiter quelques jours la tour de Mécène. Voilà ce qui donna au poète l’occasion de composer sa huitième satire ; il y célèbre ce changement merveilleux qui a fait du coupe-gorge de l’Esquilin un des plus beaux endroits de Rome :

Nunc licet Esquiliis habitare salubribus, atque
Aggere in aprico spatiari.


et pour qu’on apprécie mieux, par le contraste, l’agrément de ces jardins et la magnificence de ces terrasses, il rappelle les scènes qui se passaient dans les mêmes lieux quand ils étaient le rendez-vous des voleurs et des magiciennes. Je suppose que ce petit ouvrage a dû être lu pendant les fêtes que Mécène donnait à ses amis quand il inaugura sa nouvelle maison, et, comme il avait au moins le mérite de l’à-propos, il est probable qu’il fut très goûté des assistans. Il peut donc nous donner quelque idée de ce qu’on aimait, de ce qu’on applaudissait dans cette société élégante. Peut-être ceux qui liront la satire jusqu’au bout, en se rappelant la circonstance pour laquelle elle était faite et les gens qui devaient l’entendre, éprouveront-ils quelque surprise : elle se termine par une plaisanterie un peu forte et qu’il me serait difficile de traduire. Voilà donc ce qui amusait les convives à la table de Mécène ! Voilà ce qu’écoutaient volontiers ces gens d’esprit dans les fêtes de l’Esquilin[1] ! N’en soyons pas trop surpris. Les grands siècles classiques, que nous admirons tant, sont, en général, sortis d’époques énergiques et rudes, et souvent, dans les premières années,

  1. N’oublions pas que c’est la même société qui, dans le voyage de Brindes, prit tant de plaisir à la dispute insipide de deux bouffons. On a grand’peine à comprendre qu’après avoir entendu ces plaisanteries grossières, Horace nous dise : « Nous passâmess une soirée tout à fait charmante. »