Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/766

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
760
REVUE DES DEUX MONDES.

établi, Chaupy visite successivement tous les endroits où l’on a voulu placer la maison du poète et n’a pas de peine à montrer qu’aucun ne répond tout à fait aux tableaux qu’il en a tracés. C’est seulement à l’est de Tivoli et dans les environs de Vicovaro qu’elle peut être ; ce lieu est le seul où tout s’accorde entièrement avec les vers d’Horace. Ce qui est plus frappant encore et achève de nous convaincre, c’est que les noms modernes y ont conservé leur apparence antique. Nous savons par Horace que la ville la plus voisine de sa maison et la plus importante, celle où ses métayers se rendaient tous les jours de marché, s’appelait Varia. La table de Peutinger mentionne aussi Varia et la place à 8 milles de Tibur ; or, à 8 milles de Tivoli, l’ancien Tibur, nous trouvons aujourd’hui Vicovaro, qui a gardé presque entièrement son ancienne dénomination (Vicus Varia), Au pied de Vicovaro coule un petit ruisseau qu’on appelle la Licenza : c’est, avec très peu de changemens, la Digentia d’Horace. Il nous dit que ce ruisseau arrose le petit bourg de Mandela ; aujourd’hui Mandela est devenu Bardela, ce qui est à peu près la même chose, et pour qu’aucun doute ne soit possible, une inscription qu’on y a trouvée lui restitue tout à fait son ancien nom. Enfin la haute montagne du Lucrétile, qui donnait de l’ombre à la maison du poète, est le Corgnaleto, qui s’appelait encore dans les chartes du moyen âge Mons Lucretii. Ce ne peut pas être le hasard qui a réuni dans le même endroit tous les noms de lieux mentionnés par le poète ; ce n’est pas le hasard non plus qui fait que ce canton de la Sabine est si parfaitement conforme à toutes ses descriptions. Il est donc certain que sa maison de campagne était placée dans cette plaine qu’arrose la Licenza, sur les rampes du Corgnaleto, non loin de Vicovaro et de Bardela. C’est là qu’il faut adresser les adorateurs d’Horace, — Dieu sait s’il en reste ! — quand ils veulent faire à sa villa un pieux pèlerinage.

I.

Avant de les y conduire, rappelons brièvement de quelle façon il en était devenu propriétaire. C’est un chapitre intéressant de son histoire.

On sait qu’après avoir combattu à Philippes, dans l’armée républicaine, en qualité de tribun militaire, Horace revint à Rome, dont les portes lui furent ouvertes par une amnistie. Ce retour dut être fort triste : il avait perdu son père, qu’il aimait tendrement, et on lui avait enlevé son bien. Les grandes espérances qu’il avait pu concevoir quand il s’était vu, à vingt ans, distingué par Brutus et mis à la tête d’une légion s’étaient brusquement dissipées : on lui avait, disait-il, coupé les ailes. Il retombait, de toutes ses visées