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simple. On s’est borné au seul projet qui réponde à la passion de parti, à celui qui décrète l’épuration à outrance, la révolution du personnel par la suspension de l’inamovibilité. Il s’agit d’abord de conférer à M. le garde des sceaux, qui ne refuse pas cette brutale mission, une dictature de trois mois pour opérer en grand sur le corps judiciaire français avec la collaboration des députés mécontens des magistrats de leur arrondissement. Et qu’on ne croie pas que ce soit là une intention malignement prêtée à des hommes qui ne savent pas ce qu’ils font. Ils savent très bien, au contraire, ce qu’ils veulent faire. M. Ribot, qui a combattu avec une vive et saisissante éloquence toutes ces fantaisies, cette destruction systématique de la magistrature française, M. Ribot s’est plu à arracher leur secret à ces grands réformateurs. — « Ce que vous demandez, leur a-t-il dit à plusieurs reprises, c’est le droit, pendant trois mois, de frapper tous les magistrats sans distinction ; .. le droit de destituer, si cela vous convient, tous les magistrats de France ; .. c’est la magistrature tout entière livrée pendant trois mois au bon plaisir de M. le garde des sceaux ou de ses subordonnés… » Et de toutes parts on lui a répondu : « Oui ! oui ! certainement ! » C’est avec une sorte de cynique candeur que se sont échappées ces interruptions d’autant plus significatives qu’elles sont anonymes. Et voilà ce qu’on appelle à l’heure présente une réforme judiciaire !

Ainsi, trois mois de dictature où d’arbitraire administratif pour la grande révision des titres républicains des juges de France, c’est le premier mot de la loi. Et après, quand cette œuvre préliminaire sera accomplie, qu’en sera-t-il ? Ce sera vraiment encore l’arbitraire de parti suspendu sur l’inamovibilité dérisoire des nouveaux magistrats institués. Jusqu’ici, en effet, la cour de cassation avait seule le droit de prononcer, dans sa haute et impartiale indépendance, sur les magistrats en faute, et elle a plus d’une fois rempli ce de voir sans faiblesse, sans complaisance. Maintenant ce ne serait plus ainsi. Il y aurait un conseil supérieur composé de quinze membres, toujours choisis, il est vrai, dans la cour de cassation, mais élus en partie par la cour elle-même, en partie par la chambre des députés et par le sénat, — c’est-à-dire que la cour de cassation deviendrait un instrument des majorités, que la politique se trouverait introduite dans le tribunal chargé de juger les magistrats. A défaut de l’impartialité indépendante de la juridiction disciplinaire, y aurait-il au moins une certaine garantie résultant d’une définition précise des faits pour lesquels les magistrats pourraient être jugés ? Pas davantage. Aujourd’hui, comme par le passé, les magistrats continueraient sans doute à être poursuivis disciplinairement pour les fautes professionnelles ; mais, à côté, il y a un petit article réservant les fautes innomées, laissant au garde