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ressemble peut-être à Lessing. Amoureux de sa recherche, il lui en a peu coûté de parcourir sur un espace de plus de 5,000 kilomètres ces solitudes glacées où l’Esquimau seul peut vivre. Si les résultats scientifiques de son expédition semblent un peu maigres, ne répondent pas tout à fait à la grandeur de l’effort, on ne saurait trop admirer la persévérance, l’énergie de volonté, l’esprit de combinaison, la gaîté dans le courage, l’autorité dans le commandement dont il a eu besoin pour revenir vivant de son aventure et pour ramener sains et saufs ceux qui s’étaient associés à sa fortune.

On ne le sait que trop, sir John Franklin était parti le 19 mai 1845 pour une campagne dans les régions arctiques avec les deux navires l’Erebus et la Terror. Il était parti et n’était pas revenu. Dès 1847, on commença à s’inquiéter, à s’émouvoir. Lady Franklin, le gouvernement anglais, la compagnie de la baie d’Hudson armèrent des bâtimens, les envoyèrent aux nouvelles. Ces bâtimens revinrent, mais ils n’avaient rien vu, rien entendu. Les tentatives succédèrent aux tentatives. Ce ne fut qu’en 1857 que le capitaine Mac-Clintok, arrivant par les détroits de Barrow et de Bellot au nord de la Terre du roi Guillaume, y découvrit des épaves, des vêtemens, quelques lignes écrites de la main du capitaine Crozier, le second de Franklin. C’était au mois de mai, tout le pays était sous la neige, les recherches furent incomplètes. En 1869, un Américain aussi résolu qu’avisé, M. Hall, visita les mêmes parages ; il en rapporta un squelette qui fut reconnu pour celui du lieutenant de l’Erebus. Il avait causé avec les Esquimaux et recueilli de leur bouche la nouvelle que des papiers, des livres de bord avaient été ensevelis quelque part sous un cairn ou amas de pierres. Était-ce vrai ? était-ce faux ? Le seul moyen de s’en assurer était de se résoudre à passer un été dans la Terre du roi Guillaume. C’est ce que voulut faire en 1874 le capitaine Young, qui partit à cet effet sur le yacht Pandora ; mais il fut arrêté en chemin par les glaces, et peu s’en fallut qu’il n’y restât prisonnier. Comme l’a dit M. le comte de Turenne dans l’intéressant rapport qu’il a lu le 20 avril à l’assemblée générale de la Société de géographie : « Il était réservé à M. Schwatka de déterminer d’une façon presque absolue les étapes douloureuses de la route parcourue par les équipages de l’Erebus et de la Terror, alors qu’ils essayèrent de quitter ces régions glacées où ils avaient hiverné trois ans, de rendre les derniers devoirs à leurs ossemens blanchis, demeurés épars sur les côtes de la Terre du roi Guillaume et de la péninsule Adélaïde, de nous éclairer enfin sur l’inutilité de recherches nouvelles pour trouver des documens certainement disparus aujourd’hui. »

Ce n’est pas un sort enviable que de passer deux ans dans un pays où le soleil s’élève à peine au-dessus de l’horizon, où il y a des jours de six semaines et des nuits qui ne finissent pas, où, dès le mois