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III

Nous avons dit quel profit, au point de vue général, le pays était en droit d’attendre d’une institution telle que l’École française de Rome, quelles difficultés l’attendaient, quels secours lui étaient offerts. Voyons maintenant comment les conditions qui lui étaient faites lui ont permis de diriger ses travaux, et quels services scientifiques elle peut espérer d’avoir déjà rendus.

Le champ de ses études est nécessairement très vaste : il se mesure sur la grande variété des précieuses ressources que l’Italie, avec ses musées, ses bibliothèques, ses archives, son sol même, offre à de jeunes esprits préparés par la forte culture de l’École normale, de l’École des chartes ou de l’École des hautes études. Ils viennent à Rome pour s’engager dans les recherches spéciales qui leur permettront d’espérer des résultats vraiment personnels. Ils doivent mettre à profit les élémens particuliers que cette mission leur présente, et non s’enfermer dans le cercle des documens imprimés, qu’ils auraient aussi bien en France. La règle de leurs travaux doit être la critique érudite. On leur demande l’observation patiente. Les vues générales ne manqueront pas de se dégager ; mais que ce ne soit qu’après un sérieux examen. Le pire serait ici d’écrire ou de parler sur les divers problèmes avant de les avoir vraiment pénétrés. Sans doute il faut se garder des inutiles curiosités de la science et de la petite érudition ; mais y a-t-il beaucoup de vains problèmes, en dehors de l’évidente puérilité, pour qui pratique une sévère méthode ? Si nous recommandons le soin attentif du détail le plus spécial, ce n’est pas pour bannir, c’est au contraire pour faire naître, originales, fortes et saines, les vues d’ensemble, c’est pour qu’on pénètre par une recherche intense jusqu’à la moelle des réalités vivantes. Nous rêvons, quand nous nous attachons à un problème d’archéologie, la restitution entière, s’il est possible, d’un passé toujours complexe. Nos instrumens sont l’analyse, le dénombrement, la classification, l’induction, l’hypothèse aussi, à condition de la vérifier bientôt par le calcul. Qu’est-ce que cela, sinon apprendre à travailler, à raisonner, à enseigner ? Telle est la gymnastique que nous offrons aux esprits, la croyant cent fois plus salutaire et plus virile que la facilité superficielle et peu scrupuleuse, qui est notre véritable ennemie. Sénèque, s’élevant à très bon droit contre le redoutable petit esprit, prend en pitié ceux qui recherchent combien de rameurs accompagnaient Ulysse, lequel des deux poèmes, l’Iliade