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doit être évité par tous les moyens possibles, afin de concentrer les forces organisatrices vers la soudure parfaite. Dans les deux cas, toutes les repousses doivent être supprimées aussitôt qu’émises, afin d’éviter les déperditions de substance et l’étouffement du greffon par ces repousses. Dans le cas du greffon américain, il faut respecter les premières formations de racines, car c’est sur elles que s’appuie l’affranchissement qui se produit, immédiatement ou jamais, l’émission de quelques faibles racines ne pouvant constituer l’affranchissement.

Consacrons quelques lignes à la trop grande prudence et à ses conséquences fatales ; indiquons en même temps comment la greffe en fente sur place, dont nous venons de parler, est l’ancre de fortune des imprudens qui étudient l’adaptation en grand. Sans pousser mon raisonnement à l’extrême, sans lui faire franchir les limites du bon sens, je dirais : Évitons les erreurs si nous le pouvons, et, pour cela, renseignons-nous, Mais trompons-nous plutôt que de rester sans rien faire, plutôt que d’enfouir notre argent dans le sol avec des céréales, plutôt que de perdre des années ; car, admettant que nous nous soyons trompés, que de nouveaux renseignemens nous disent que l’espèce choisie ne résistera qu’un nombre limité d’années, ou qu’un point défaillant dans notre jeune vigne nous indique qu’elle va fléchir, il restera la ressource de greffer une variété sûrement résistante sur la souche condamnée ! : 37 fr, 50 par hectare et une année perdre, voilà le bilan d’une erreur possible, mais de moins en moins probable : est-elle à comparer avec la certitude du dommage attaché à chaque année perdue dans l’attente et dans l’incertitude ? et si l’année où le prudent se décide à planter coïncide avec celle où le plus malchanceux des imprudens sera réduit à greffer l’objet de ses erreurs, lequel récoltera le premier ? Sera-ce le soi-disant prudent qui, par une année sèche, mettra une pauvre bouture en terre en pensant aux remplacemens qu’il aura à faire, ou sera-ce l’imprudent qui, pour racheter une erreur, établit solidement un greffon dam une souche pleine de sève ? Il va sans dire que, dans ce cas, c’est un greffon d’espèce résistante à produit direct qu’on emploiera, et qu’on opérera la greffe très profondément de manière à obtenir l’affranchissement et à pouvoir, si la greffe devenait une passion comme chez certains Américains, regreffer encore, et cette fois avec un greffon français… Le raisonnement peut paraître excessif et le serait, si, d’une part, je ne mettais les choses au pire et si, de l’autre, on pouvait trouver quelque chose de plus fatal que l’abstention dans les pays où les céréales ruinent et où la jachère empoisonne la terre de mauvaises herbes des quatre saisons, qu’il faut des années pour détruire.