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intérêt à cette transformation. Mais si ce procédé est appliqué à des racines trop affaiblies, l’affranchissement ne se produit qu’insuffisant et d’autant plus éphémère que le développement de la greffe sera disproportionné à cette faible racine. L’affranchissement ne s’opère que par le jeune bois, et un greffon de seconde année ne s’enracinera pas plus que ne le ferait une bouture de deux ans.

M. Im-Thurm possède[1] les plus beaux jacquez greffés sur aramon qu’on puisse voir. Les premières greffes ont été faites en 1876 sur sujets pleins de vie ; les suivantes sur des condamnés plus ou moins mourans. De même qu’à Saint-Benezet, les greffes de 1876 sont splendides et se comportent comme des francs de pied, tandis que celles des années suivantes sont de moins en moins prospères, et les dernières, qui n’ont trouvé que des sujets affaiblis, meurent ou luttent absolument hors de la loi viticole, qui veut qu’un cep produise ou périsse. La couche génératrice ne produit de racines que si elle est surabondamment nourrie par la sève descendante. L’abondance de ce suc nourricier dépend de celle de la sève montante ; donc la formation des racines est subordonnée à l’abondance de cette dernière, et si la souche française qui sert de porte-greffe a perdu ses racines, comment puisera-t-elle abondamment la substance nécessaire à la formation de celles qu’on désire voir émettre, au greffon ? La nourriture emmagasinée dans la vieille souche peut donner quelques illusions au vigneron, mais une année ou deux auront raison de ce dernier effort de végétation. Nous étudierons un jour les moyens d’utiliser ces fantômes de reprise, car cette étude peut avoir des résultats pratiques ; le temps seul décidera de la valeur des essais tentés en ce moment pour arriver d’une façon sûre et générale à transformer une vigne française mourante en une vigne américaine résistante, en ne perdant qu’une ou deux récoltes et en ne dépensant qu’une faible somme. En l’état de nos connaissances, le moyen le plus sûr, le plus prompt, le plus accessible à tous pour la reconstitution d’un vignoble, c’est l’achat de plants racines, greffés et soudés ; l’intérêt général demande que les grands propriétaires deviennent vendeurs à bon marché de ce produit, afin que la petite propriété bénéficie des expériences plus ou moins coûteuses de ces industriels d’un nouveau genre, expériences qu’ils font d’abord en vue de leurs propres plantations, mais qui profiteront ensuite à ceux qui ne peuvent perdre temps et argent à apprendre le métier de greffeur ou de multiplicateur.

A propos de multiplication, revenons encore à la bouture à un œil, dont chaque saison confirme la valeur : c’est le plant le mieux

  1. Aux Sources, près Bellegarde (Gard).