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En tête du troupeau marche la génisse de M. Roll. Cet artiste, d’un tempérament si puissant, nous a accoutumé à de telles surprises. Tantôt il peint un choc de cavaliers, tantôt une dramatique scène d’inondation, tantôt encore un éblouissant tableau de mythologie. Aujourd’hui il expose le beau portrait dont nous avons parlé et cette magistrale étude : « Si Dieu lui prête vie, » la bête au pelage blanc et roux, lustré à la croupe par un rayon de soleil, qui paît tranquille devant une chaumière normande, aura la prime d’honneur au concours régional. Quel relief surprenant ! quelle lumineuse couleur ! et comme l’animal est bien rendu dans son allure ! Seulement le tableau gagnerait à la suppression des personnages qui s’estompent au fond en silhouettes informes ; la liberté de la touche tourne ici au sans-gêne. Cette facture lâchée jure avec l’exécution large, mais ferme de l’animal. Les paysans nuisent à la Génisse de Roll comme le berger nuit au Taureau de Paul Potter. La Sortie de l’herbage, de M. de Vuillefroy, nous montre des vaches qui ne sont pas loin de valoir celles de Troyon ; le Gué, de M. Marais, le Pâturage, de M. de Thoren, l’Étable, de M. Barillot, nous montrent des vaches qui ne sont pas loin de valoir celles de M. de Vuillefroy. Mme Deshoulières voudrait sauver de l’abattoir tous les moutons de M. Vaison et de M. Zuber, et le cardinal de Richelieu aimerait à jouer avec les chats de M. Monginot. Quant à l’aimable baudet de M. Jadin, il explique qu’on ait jadis écrit l’Éloge de l’âne.

La Gorge aux loups, de M. Tristan Lacroix, est un très grand paysage conçu dans la manière large et vigoureuse de la Remise des chevreuils, de Courbet. A l’entrée de l’étroit défilé qui s’enfonce entre les amoncellemens de rochers, une biche s’arrête aux écoutes. Cette bête, enlevée d’une touche franche qui trahit la spontanéité de l’exécution, est rendue dans son mouvement avec une sûreté remarquable. A droite, un vieux chêne tord ses branches dénudées ; au fond se massent les arbres de la forêt dont le vert feuillage, traversé par les rais du soleil, laisse voir une échappée du ciel. Les rochers paraissent un peu flou pour du granit, mais l’ensemble du tableau est d’une excellente tenue et donne une vive et agréable impression de fraîcheur. Les familiers de Fontainebleau prétendent que cet aspect humide n’est pas dans le caractère de la forêt, où il n’y a point de cours d’eau, à peine de sources, et où l’ombre de la feuillée est chaude. Nous ne déciderons point. D’ailleurs supposons qu’il vienne de tomber une pluie d’orage, et le site de M. Tristan Lacroix rentre dans son effet juste.

Un critique d’art en veine de paradoxe a écrit que le paysage est le genre de peinture le plus difficile. Il n’y paraît pas au Salon de 1883. On compte à l’exposition au moins sept cents paysages sur