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joue gaîment à ses pieds avec une méchante poupée cassée. La scène est digne de Dickens. D’autres misères et d’autres expulsions encore. M. Caron, dans un grand tableau d’une manière sévère, nous fait assister à l’Expulsion des bénédictins de l’abbaye de Solesmes. C’était une scène digne de tenter le pinceau ; toutefois nous n’aimons pas la politique en peinture, que cette politique flatte ou froisse nos sentimens personnels, M. Langrand a été, selon nous, mieux inspiré en nous montrant à l’œuvre ces Petites-Sœurs des pauvres, qui font le sujet de la belle étude de M. Maxime Du Camp, dernièrement publiée dans la Revue. Certes les vieillards que soignent les petites-sœurs aiment mieux avoir affaire à elles qu’au rébarbatif employé du Bureau de bienfaisance de M. Gervex. Il est vrai que, pour les sœurs, la charité n’est point un métier.

La paysannerie de M. Bastien-Lepage représente une fillette de quinze ans et un jeune villageois qui parlent d’amour en se tournant le dos, au milieu de carrés de choux et d’oignons. Il nous paraît que l’exécution est plus sérieuse que dans les autres scènes rustiques de cet artiste. Les figures peintes avec une fermeté égale dans toutes les parties sont solides sur leurs jambes. Il n’en était pas ainsi du flageolant Père Jacques. Il y a plus d’air et de perspective qu’à l’ordinaire, ce qui ne veut pas dire qu’il y en ait encore beaucoup. M. Bastien-Lepage s’est décidé à mettre une échappée de ciel à l’arrière-plan ; cela donne toujours un peu de recul au fond. La couleur, systématiquement tenue dans les tonalités sans éclat de la lumière diffuse, avec quelques réveils de verts très crus, ne flatte point les yeux. Tout en protestant contre la vulgarité des types, nous accordons que l’attitude gauche et embarrassée des deux amoureux est bien trouvée. Et pourtant, s’il y a là du naturel, il n’y a point de simplicité. C’est un peu cherché et précieux, c’est le marivaudage à l’étable. Autrement forte et saine est l’impression du tableau de M. Maurice Leloir : un robuste laboureur qui arrête un instant la charrue pour donner un bon baiser à sa femme. Si M. Sicard n’est point du tout un impressionniste, ce dont nous le félicitons, c’est, en revanche, un réaliste convaincu. Sa Plumeuse de poulets manque complètement d’idéal ; mais quelle puissance dans l’exécution !

Bien que la Plage de Mme Demont-Breton ne montre ni une Alma parens allégorique, ni une Cornélie, mère des Gracques, ce tableau est tout simplement une des trois ou quatre œuvres de grande peinture du Salon. Une femme de pêcheur assise au bord de la mer tient dans ses bras son nourrisson, tandis que ses trois autres enfans jouent nus sur le sable. Il ne s’agit pas ici d’amours conventionnels, ronds, potelés, bouffis, aux chairs de cire ou de