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chevaux que des chevaux d’omnibus. M. George Bertrand eût pu aussi pousser davantage l’exécution. C’est une ébauche, une préparation, ce n’est pas un tableau. Les figures, sans modelé et sans demi-teintes, sont creuses ; le dessin gagnerait à être plus châtié ; les ombres portées du feuillage sur les chairs des amazones et sur les robes des chevaux sont trop vivement accentuées. Le jeune peintre ne mérite pas seulement des critiques. Il a su bien poser les figures et les peindre en des mouvemens variés, gracieux et justes ; il y a dans cette toile gigantesque une grande intensité lumineuse ; enfin, les idées poétiques sont si rares chez les peintres qu’on est heureux d’en rencontrer une par extraordinaire, fût-elle même exprimée avec une certaine vulgarité.

Après le Printemps, de M. George Bertrand, vient l’Été, de M. Hans Makart, le célèbre peintre viennois, l’auteur de l’Entrée de Charles-Quint à Anvers. C’est une sorte de hall qui s’ouvre sur un jardin, dont les arbres et les bosquets ombragent une grande piscine de marbre. Au fond de ce hall, décoré de sculptures en bois doré et pavoisé de draperies rouges et bleues, une femme nue, la tête ceinte d’un diadème, est à demi couchée sur un lit d’apparat ; elle présente le doigt à un papillon qui vient s’y poser. Au premier plan, à gauche, une jeune fille assise à terre, les jambes repliées, rit à un enfant que la mère retire de l’eau. Un peu plus loin, une femme, vue de dos, met ou enlève sa chemise, — grammatici certant. A droite, un groupe de femmes : l’une en peignoir blanc, les autres vêtues de robes de velours et de brocart se groupent autour d’une table d’échecs. La pensée, si pensée il y a, est, comme on voit, assez obscure. Cette réserve faite, il faut reconnaître l’agréable et pittoresque ordonnance de la composition, le dessin élégant mais peu sévère des figures, le charme souriant des physionomies. M. Hans Makart est un véritable artiste qui aime la beauté. par-dessus tout. Malheureusement, il vise au beau et n’atteint qu’à la grâce, il cherche le style et ne trouve que la manière. Au point de vue de la technique, il est inférieur à la plupart de nos bons peintres. Sa facture est trop facile, ses corps sans dessous paraissent un peu creux, son coloris est sourd et faux. Ce panneau de l’Été fait l’effet d’un beau tableau reproduit en mauvaise chromolithographie.

Une œuvre d’un art tout autrement sérieux, c’est la Psyché, de M. Jules Lefebvre. Assise de profil et les jambes pendantes au sommet d’un rocher qui surplombe les eaux noires du Styx, la jeune fille hésite à ouvrir la boîte fatale donnée par Perséphone. (Cette boîte, on le sait, ne contenait rien qu’une vapeur empoisonnée qui devait asphyxier Psyché.) Pour décor, les parois de granit et lJa