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perturbations profondes et comme une dépravation anticipée pour l’enfant conçu dans de telles conditions ; soit même par des excès de travail ayant amené la fatigue du cerveau ; enfin par la culture trop complaisante de sentimens singuliers, par une exaltation ou une mélancolie habituelle, où l’on se complaît à jouer, comme Hamlet, avec la folie[1]. Il y a de quoi trembler en pensant à toutes ces formes diverses de responsabilité qui nous incombent dans l’histoire future d’une race. Un vice, un penchant contracté, peuvent avoir un retentissement considérable dans un avenir qui nous échappe. Et, de même, l’Habitude du bien, le goût des sentimens nobles et délicats, une culture élevée de l’esprit et assidue de la volonté, peuvent modifier la nature d’une manière heureuse, même le tempérament, lequel est transmissible. Il y a donc un élément de transmission du mal qui dépend de nous, une sorte de péché originel, physiologique ou instinctif, que nous pouvons transmettre diminué ou affaibli. Ancêtres qui resteront inconnus à leurs descendans et qui, à leur tour, ne les connaîtront pas, les hommes de chaque génération n’en sont pas moins tenus à leur égard par des devoire de justice et de charité. Il faut absolument que cet ordre de considérations entre dans notre éducation morale. On a eu raison de dire que, parmi les influences diverees qui mènent l’homme, une des plus puissantes est celle des morts. Un long passé pèse sur nous. Il dépend de nous que le présent que nous faisons pèse d’un poids moins lourd sur nos descendans, ou que, du moins, nous leur fassions la tâche moins difficile qu’elle ne nous a été faite à nous-mêmes en améliorant ; autant que cela est possible, toute chose autour de nous et la nature morale en nous.

Sans rien nier de ces influences, nous les avons regardées en face ; mesurées du regard, et après avoir marqué leur place dans la vie, nous avons essayé de les limiter. Nous avons montré qu’il y a en chaque être vivant un élément d’individualité qui échappe à la loi d’hérédité, et qui chez l’homme s’élève jusqu’à la personnalité. La création de l’homme libre est le but de la vie. L’homme est donc autre chosequ’unproduit fragile de l’entrecroisement des forces cosmiques. Il est un être distinct de tout autre être et capable de développement indéfini par la conscience et la liberté. En dépit de toutes les fatalités que nous subissons du dehors ou que nous portons au dedans de nous, l’école biologique n’a jamais pu réussir que par des artifices de logique et d’analyse à se débarrasser de ce pouvoir personnel. Cet élément, irréductible à tout autre, se manifeste dans chaque acte libre, qui

  1. Psychologie morbide dans ses rapports avec la philosophie de l’histoire, par le docteur Moreau (de Tours), page 116 et seq.