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inégale parce qu'elle est humaine, et c'est toujours là qu'il en faut venir pour expliquer la plupart des décadences, comme c'est là aussi qu'il faut en venir pour expliquer les grandeurs momentanées ou les relèvemens admirables du pauvre être, tour à tour si infime et si grand, qui est l'homme.

Nous n'acceptons aucune de ces deux thèses contraires issues de l'école nouvelle : l'une qui établit le progrès nécessaire, l'autre qui proclame la décadence fatale par la sélection et l'hérédité. Il nous suffit de les placer en face l'une de l'autre pour montrer combien il y a de fantaisie et d'arbitraire dans ces ambitieuses synthèses, dans cet ensemble de conclusions prématurées qu'on veut tirer de faits très curieux, mais encore imparfaitement étudiés et incomplètement connus. Le trait commun à ces théories, c'est qu'elles se donnent un tort égal en négligeant les causes morales, hors desquelles tout reste obscur, énigmatique dans les lois du progrès ou de la décadence, et qui seules en contiennent la raison suffisante, sans exclmîe pourtant les autres causes, qui sont la matière physiologique ou historique imposée à la liberté.


III

Je voudrais resserrer les conclusions de cette longue étude ; les ramasser sous les yeux du lecteur en quelques propositions très simples et très nettes :

Dans l'ordre psychologique, l'hérédité est une influence, elle n'est pas une fatalité. Elle pénètre jusqu'au centre de notre vie intérieure par les instincts, les habitudes de race, les impulsions et entraînemens physiologiques ; mais, sauf les cas morbides, elle ne domine pas la personne morale au point de la déposséder d'elle-même et de créer l'irresponsabilité.

Bien qu'elle ne soit qu'une influence, ou mieux qu'un ensemble d'influences, l'hérédité doit être surveillée avec grand soin, combattue et réprimée là où cela est possible pour qu'elle ne pèse pas d'un poids trop lourd sur la vie de nos successeurs. Elle crée entre les générations une loi de solidarité qui double nos devoirs envers nous-mêmes de devoirs envers nos descendans. Nous sommes responsables dans une certaine mesure envers eux. Un homme peut compromettre la santé imorale de ses fils ou de ses petits-fils de bien des manières, non-seulement par une folie véritable et involontaire qui a bien des chances de se transmettre, mais par quelque germe de maladie mentale qu'il aurait pu efficacement combattre ; par des mariages effectués contre les lois d'une saine physiologie ; par des habitudes d'intempérance qui sont des causes de