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nécessité de nature « comme le développement d’un embryon ou l’éclosion d’une fleur ; » je crains que la conquête du mieux sur la terre, sans parler du bien absolu qui est une chimère, ne redevienne ce qu’elle était avant les beaux rêves du darwinisme, une œuvre difficile et lente, précaire et disputée, sujette à de terribles retours, incomplète et partielle, condamnée à ne se réaliser jamais dans tous les élémens qui la composent, reculant sur un point tandis qu’elle s’avance sur d’autres ; œuvre imparfaite toujours, c’est-à-dire humaine. L’ouverture du paradis terrestre est provisoirement ajournée.

Examinons cette loi de la décadence, voyons dans quelles circontances elle produit son effet, qui est non-seulement de suspendre le progrès, mais de le faire rétrograder. La nature organique nous en fournit de nombreux exemples. C’est même pour cela que plusieurs savans, plus ou moins disciples de Darwin, préfèrent le mot transformisme à celui d’évolution. Dans un récent écrit, M. de Candolle nous en donne la raison. Ce mot est préférable, dit-il, parce que les changemens successifs de formes ne sont pas toujours dans le sens d’un plus grand développement. Il se fait quelquefois des changemens dans le sens d’une simplification. Ainsi les parasites (animaux ou végétaux) sont des états simplifiés de certaines organisations ; de même, les animaux qui vivent dans les cavernes et les plantes aquatiques. On ne sait pas toujours, dans ces structures, ce qui est un non-développement ou un retour vers un état plus simple après plusieurs générations compliquées, mais on peut constater ou présumer dans certains cas ce qu’il en est[1]. M. Rey Lankaster a publié dans le même sens, en 1880, un petit volume intitulé : Dégénérescence (Degeneration, a chapter in Darwinism), Les causes d’une dégénérescence se retrouvent aussi bien dans l’organisme social. Malgré son optimisme et sa foi dans le développement intellectuel, toujours croissant, de l’humanité, M. Galton exprime la crainte que l’amélioration des facultés dans les races de haute culture ne marche pas assez vite pour les besoins croissans d’une civilisation qui grandit énormément. « Notre race est surchargée ; elle semble courir le risque de dégénérer, à la suite d’exigences qui dépassent ses moyens. Quand la lutte pour l’existence n’est pas trop grande pour la force d’une race, elle est saine et conservatrice ; autrement elle est mortelle[2]. »

On cite un exemple frappant à l’appui de cette opinion : la division du travail augmente toujours avec la civilisation ; mais il n’est guère douteux qu’en même temps qu’elle simplifie l’œuvre, elle

  1. Darwin considéré au point de vue des causes de son succès, 1882.
  2. Hereditary Genius, p. 345.