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ou moins apte à remplir les fonctions dont on voulait l’investir. C’était le moindre souci de ceux qui jetaient son nom en avant. L’essentiel était qu’il fût en possession d’un crédit indiscutable auprès du chef de l’état. Ainsi qu’on avait vu, avant la révolution de 1789, les puissans seigneurs du temps supplier le monarque régnant de leur accorder comme gouverneur, pour le plus grand bien de leur province, quelque membre de sa royale famille, un frère, un cousin, un neveu, au besoin quelqu’un de ses bâtards, de même peu s’en est fallu que l’on ait eu le spectacle des délégués de l’Algérie se traînant avec les mêmes instances aux pieds du président Grévy. Cependant, comme en république il n’y a point de bâtards, ils lui ont simplement demandé son frère, et ils l’ont obtenu. M. Jules Grévy aurait-il, à lui seul et de son propre mouvement, imaginé ce choix ? Je ne l’ai pas entendu dire, et je crois qu’il s’en défend. M. Albert Grévy avait-il songé lui-même à cette candidature avant qu’on lui en parlât ? Je l’ignore également. Mais j’ai assisté à son débarquement à Alger. Ce fut une ovation sans pareille. Deux années plus tard j’étais de nouveau à Alger. Ah ! combien la note était changée ! Je retrouvais M. le gouverneur-général tel que je l’avais laissé, plein de zèle pour la colonie, avec quelques expériences en plus, faites sur le terrain, notamment la plus cruelle et la plus inattendue pour lui, celle de la prodigieuse mobilité d’impression de ses administrés. Jamais, au plus fort de la polémique dirigée contre eux, ni l’amiral de Gueydon, ni le général Chanzy n’avaient été l’objet d’un concert de critiques aussi acerbes, de récriminations aussi violentes, probablement assez mal fondées, en tout cas, extrêmement injurieuses.

Comment, de bonne foi, les sénateurs, les députés, les feuilles publiques de l’Algérie qui ont si vite passé du plus étrange engouement à des rages de dénigremens impitoyables n’ont-ils pas songé que, par ces brusques transitions d’un excès à un autre, ils affaiblissaient singulièrement eux-mêmes leur autorité et portaient ainsi atteinte, dans leurs propres personnes, à la confiance qu’en raison de leur situation au parlement et de leur rôle dans la presse, la mère patrie était disposée à leur accorder comme aux représentai naturels et les mieux accrédités auprès d’elle des intérêts de notre grande colonie africaine ?

Mais pénétrons un peu plus avant dans un sujet qui devient de plus en plus délicat. Puisque nous sommes en train de chercher l’explication de l’espèce d’indifférence qui a, peu à peu, remplacé l’intérêt si vif et si continu qu’excitaient jadis les débats relatifs aux affaires de l’Algérie, risquerons-nous beaucoup d’offenser les amours-propres en supposant que leur ancien retentissement tenait en partie à l’éclat des noms de ceux qui jadis y prenaient part ? Notre