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compte de l’intensité du mouvement d’opinion, plus vif peut-être que réfléchi, qui se prononçait alors contre le maintien dans notre colonie de toute suprématie même apparente qui serait accordée à l’élément militaire sur l’élément civil. Il faisait, en même temps, trop de cas des braves commandans de notre armée pour les vouloir sacrifier à de puériles déclamations ; il se tenait, avec raison, pour assuré que l’autorité supérieure de l’un de nos officiers de marine les plus distingués, administrateur heureux de la principale de nos colonies des Antilles, serait acceptée avec plaisir par ses subordonnés militaires, porteurs comme lui de la glorieuse épée qui en a toujours tant imposé aux Arabes. Il ne doutait pas non plus que les partisans les plus décidés d’une administration toute civile accueilleraient sans murmure son choix, parce qu’ils se sentiraient ainsi garantis contre les complaisances qu’entraînent parfois, entre officiers d’une même arme, les camaraderies d’une commune carrière. Sur ce dernier point, les prévisions de M. Thiers ne furent point tout à fait réalisées. Tandis que les personnes établies de vieille date dans le pays s’applaudissaient de rencontrer chez le nouveau gouverneur un protecteur intelligent de leurs sérieux intérêts, doué à la fois de l’esprit d’initiative et pratiquement versé, par les précédens de sa vie de marin, dans la connaissance des questions coloniales, les journaux de l’Algérie qui se piquaient d’indépendance n’attendirent pas longtemps pour entamer contre lui une guerre violente qui ne prit fin qu’à l’époque de son remplacement par le général Chanzy. L’ancien président du centre gauche républicain, le vainqueur de Patay, a-t-il eu la chance de trouver un peu grâce devant ces terribles contradicteurs ? Pas davantage. Après une espèce de lune de miel, dont la durée fut assez courte, les diatribes reprirent de plus belle contre les abus d’une administration entachée d’arbitraire et déclarée insupportable, parce qu’elle était remise aux mains d’un général commandant de corps d’armée. Aucune des invectives prodiguées à l’amiral de Gueydon ne fut épargnée à son successeur. Au bout de trois années, le général Chanzy était devenu pour la presse algérienne une sorte de bouc émissaire dont le sacrifice était absolument nécessaire au salut du peuple.

Alors s’organisa de toutes pièces une campagne vraiment curieuse, étant donnés le temps où nous vivons et les opinions de ceux qui l’ont entreprise et menée à bien. On se serait cru transporté à quelques siècles en arrière, en plein régime féodal. Pour les sénateurs et les députés républicains de l’Algérie, pour les membres des conseils-généraux, pour les organes les plus avancés de l’opinion radicale, il s’agissait de désigner eux-mêmes le gouverneur qu’ils entendaient faire mettre à la tête de la colonie. Peu importait qu’il y fût inconnu ou qu’il en ignorât les besoins. Serait-il plus