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l’Angleterre ne laisse point d’avoir, elle aussi, comme toutes les autres nations, ses difficultés, ses préoccupations, ses luttes intérieures. Elle n’en a pas encore fini surtout avec cette crise irlandaise qui a pu être atténuée dans une certaine mesure, il est vrai, par la politique agraire de M. Gladstone, qui ne garde pas moins sous bien des rapports une singulière gravité.

Tout ce que le gouvernement anglais a pu faire par des lois d’une équité hardie, par des réformes presque radicales dans les conditions de la propriété, il l’a fait, et il a peut-être réussi à avoir raison de l’ancienne ligue agraire ; il n’est pas arrivé jusqu’ici à pacifier l’Irlande, à vaincre complètement les sociétés secrètes, les passions meurtrières. Il en est toujours à soutenir une lutte énergique contre des ennemis qui ne reculent pas devant le crime. Il y a un an maintenant que lord Cavendish et M. Burke étaient frappés à Phœnix-Park en plein jour par d’audacieux meurtriers qui échappaient d’abord à toutes les recherches. Ce n’est pas sans beaucoup d’efforts que la police anglaise, mise en mouvement de toutes parts, est arrivée à pénétrer le mystère de l’assassinat de Phœnix-Park et de bien d’autres assassinats, à mettre la main sur les principaux coupables, qui appartiennent tous à une société dite des « invincibles. » Cette vigoureuse campagne de répression ne s’est pas ralentie un instant depuis un an, et le résultat de toutes les recherches, facilitées à un certain moment par des délations intéressées, est ce procès multiple qui se juge à l’heure qu’il est à Dublin, qui est certes plein de détails étranges et caractéristiques. Ces « invincibles » qui défilent depuis quelque temps devant la cour de Dublin, ce sont des nihilistes irlandais qui sont résolus à tout, à l’incendie et au meurtre, qui, le plus souvent, ne désavouent pas leur crime. Les délateurs eux-mêmes, garantis aujourd’hui par leurs dénonciations, sont de curieux personnages. On demandait en plein tribunal, il y a quelques jours, à l’un d’eux si l’association n’avait pas voulu assassiner l’ancien secrétaire pour l’Irlande, M. Forster ; il a répondu que le mot « assassiner » était peu poli, qu’on avait voulu a éloigner » M. Forster, — et comme on le pressait de questions en lui demandant où l’on aurait transporté l’ancien ministre, ce lugubre humoriste a répliqué d’un ton dégagé : « Je ne m’en souviens plus, j’ai oublié l’adresse de son caveau de famille. » Ce procès qui se déroule à Dublin, qui compte déjà un certain nombre de condamnations à mort, n’est pas fini. La justice anglaise n’a même pas encore sous la main tous les coupables, et c’est ici une complication de plus dans cette singulière et éternelle affaire irlandaise. Le cabinet de Londres a aujourd’hui à obtenir des États-Unis l’extradition de quelques-uns des chefs de cette faction du meurtre qui se sont réfugiés au-delà de l’Atlantique. Il paraît décidé à demander aux Américains cette extradition : de sorte que la répression des crimes irlandais se complique par le fait d’une question