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contemporains en deux groupes ; une des salles s’efforce de représenter plus particulièrement le second empire, une autre les années récentes, depuis la grande blessure. Cette division serait artificielle ; aucune différence caractérisée ne la justifie, ni dans la façon de peindre le portrait, ni dans la physionomie de la société qui se fait peindre ; ces deux époques se pénètrent et se confondent, les mêmes acteurs sont en scène ; si lointaine que paraisse à certains égards la première, nous l’avons trop vécue pour la voir avec des yeux étrangers. C’est pour nous le monde des vivans, au moins par le souvenir, car le mot n’a pas d’autre exactitude ; il y aurait bien des croix à ajouter après les noms des artistes et des personnages de ce temps qui figurent là, pêle-mêle avec les portraits dont nous coudoyons les originaux. Parmi les morts, Flandrin tient la première place : bien que nous ayons vu peindre la plupart des toiles qui portent sa signature, lui seul apparaît à ma génération avec je ne sais quel recul dans le vieux temps. Ses portraits sont déjà pâlis comme des figures d’ancêtres, ses femmes surtout, qui ont, comme celles de Chassériau, l’air de sortir d’un monastère et d’appartenir à un autre âge. On regrettera de ne pas trouver ici le beau portrait de Napoléon III dont chacun a gardé le souvenir, et qui eut l’heur de plaire à tout le monde, excepté, dit-on, au modèle. On trouvera, en revanche, ceux du prince Napoléon, du comte Walewski et du comte Duchâtel, un peu éteints, avec des allures d’ombres au milieu de l’éclat des peintures nouvelles. Combien d’autres morts réclament notre justice et nos regrets, Millet, Léon Cogniet, Courbet, avec un savant portrait de Berlioz, Regnault, qu’on ne s’accoutume pas à ne plus voir en tête de notre jeune école, Ricard, l’artiste si consciencieux, si varié, tout à fait supérieur ici avec le portrait de Mlle de Kolowrat.

Je m’arrête. Si je n’ai pas abusé jusqu’à présent des critiques de détail, je me suis promis d’y renoncer entièrement à cette heure. J’aurais fort à faire s’il me fallait rechercher encore devant chaque. toile qui nous donne le plus de plaisir, M. Meissonier, avec sa précision spirituelle, M. Carolus Duran, avec ses splendeurs de millionnaire, M. Bonnat, avec sa science solide, M. Cot avec sa grâce, M. Cabanel avec sa distinction, M. Baudry, que je nomme le dernier, parce que je ne me sens pas impartial pour ce grand travailleur qui regarde en haut. Surtout, je ne veux pas établir des comparaisons hasardées entre les peintres que nous avons admirés, en suivant la pente du siècle, et ceux qui nous attendent à son déclin. Je ne crois pas qu’on puisse comparer aux œuvres anciennes des tableaux achevés d’hier ; ceux qui l’essaient de bonne foi me paraissent dupes d’une illusion. Non-seulement le temps met sur les toiles cette harmonie indéfinissable que les peintres nomment la patine mais