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tout ce qui peut être sauvé des ruines françaises. L’homme d’état, l’honnête homme, a fait graver sur son cadre sa devise, qui ne conviendrait guère à la plupart de ses voisins, qui ferait sourire Talleyrand : Mutare, timere sperno. L’histoire ne lui a pas encore rendu toute justice ; les historiens timorés voient trop l’émigré derrière le ministre. Heureusement qu’il émigra ! D’abord on ne coupa point sa tête, qui nous eût manqué ; et puis il fit de si bonne besogne, chez le souverain qui l’avait accueilli, qu’en 1815 il put se jeter aux pieds d’Alexandre et lui dire : « Sire, ne permettez pas qu’on enlève l’Alsace à la France ! » Et l’Alsace nous fut conservée. À ce prix, les patriotes les plus susceptibles regretteront tout bas qu’il n’y ait pas eu toujours des émigrés ; on s’en contenterait pour ministres, de ces transfuges qui peuvent arborer la fière devise : « Changer ni craindre ne daigne. »


III

Ingres, Delaroche, Ary Scheffer, nous introduisent dans un nouveau monde. La salle où nous entrons et quelques parties de la suivante sont consacrées à la monarchie parlementaire, presque exclusivement à la monarchie de juillet. Le petit salon où nous voici a son caractère bien à lui, la société n’y est pas mêlée, pas très gaie, mais fort intéressante ; c’est un salon parlementaire, doctrinaire, avec une porte ouverte aux artistes ; les bureaux des Débats, ceux du Globe et deux ou trois ateliers en font presque seuls tous les frais. Pas de rois ni de reines, aucun portrait de Louis XVIII, de Charles X, de Louis-Philippe ; on pourrait se croire dans la meilleure des républiques ; il doit y avoir dans la charte un article additionnel, stipulant que le roi règne et ne se fait pas peindre. Presque pas de jeunes femmes, quelques vieilles seulement ; encore moins d’uniformes ; des redingotes sévères, des cravates roulées à plusieurs tours ; nulle dépense de couleur pour les peintres, le noir est de rigueur. On ne se bat plus, on ne fait plus sa cour, ni la cour, on médite, on parle, on écrit, on peint. Dans la salle de l’empire, une petite fille jouait avec un grand sabre de grenadier qu’elle traînait sur son dos ; cette enfant symbolisait son époque. L’instrument est changé qui violente la fortune : si la petite fille, qui a dû grandir, s’était fait repeindre ici et voulait continuer à servir de symbole, elle devrait charger sur ses épaules la tribune. Voilà la reine ! Les peintres n’ont pas manqué de la figurer, Delaroche l’a simulée dans deux tableaux : le premier nous montre M. Guizot accaparant une moitié de la bienheureuse tribune ; le second,