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pas non plus si c’est le peintre ou les modèles qui affectionnent des verts, des jaunes, des roses déplorables. Cependant Prudhon les réprouve, lui ; ses caresses de couleur, ses molles lassitudes de pinceau reposent nos yeux des tons trop crus, des lignes trop dures. Le portrait de M. de Mesmay et celui d’un conventionnel semblent embus avec de l’ambre liquide. Si ce charmeur n’était pas largement représenté dans cette salle, l’aspect général souffrirait d’un caractère de sécheresse, de froid et de monotonie. La morale de notre promenade, c’est qu’un empereur comme un roi a toujours la peinture qu’il veut. Chacun l’a senti en passant d’une galerie Louis XIV à une galerie Louis XV. Napoléon penchait pour la sévérité du grand roi. Plus on relit l’histoire, plus on étudie nos voisins les mieux établis en puissance, et plus on se convainc que la vraie grandeur ne va pas sans un peu de gêne, disons le mot, sans un peu d’ennui. C’est l’inconvénient inévitable de la règle qu’on s’impose pour être plus fort. Napoléon l’avait compris. Notre imagination nous représente tout d’abord l’épopée impériale comme un déchaînement héroïque, nous la voulons impétueuse et lumineuse, nous croyons entendre des Marseillaises souffler sur l’Europe, entraînant des foules enfiévrées ; il semblerait que le peintre attitré de cette merveilleuse folie ait dû être Géricault, avec sa palette enflammée, broyant des couleurs sans nom, brossant sur les visages et les chevaux des touches paradoxales de vert ou de bleu, comme dans la pochade du lieutenant Dieudonné. Ce n’est pas là la vérité. Géricault était un révolté, un romantique d’avant l’heure. Le trait distinctif de Napoléon, c’est le génie de l’ordre et de la règle ; sans quoi il n’eût pu instituer les cadres encore debout de notre société. L’étudiant de Brienne était d’instinct un géomètre, il voulut et il obtint un air de géométrie dans tout, dans sa cour, dans la prose de Fontanes et les vers de Ducis, dans la peinture de Gérard et de Gros. Tout ce monde qui nous entoure est exact, ordonné, grave et parfois solennel, à défaut de majesté ; car tout ce monde est éclos du petit front volontaire dessiné là par Greuze. A bien compter les dates, un tiers de cette salle appartiendrait à la restauration ; mais l’impression générale de l’œil proteste contre cette restitution. Tout ici est frappé à fa marque de l’empereur, tout est dans sa dépendance. C’est que les Bourbons héritèrent des peintres, comme des généraux et des administrateurs de l’empire. Ceux qui portent déjà fat livrée royale semblent réciter sans conviction un rôle bien appris.

Il n’y a qu’une exception : c’est ce gentilhomme au visage spirituel et loyal, si bravement campé dans le magnifique portrait de Lawrence ; le duc de Richelieu clôt brillamment la salle ; il attend que l’édifice impérial s’effondre, il se prépare avec Talleyrand à sauver