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les traits du père sont bien reconnaissantes chez l’enfant, mais adoucis et estompés ; le sang noir du Corse est affiné par le vieux sang de Hapsbourg. Dans l’autre salle, Louis XVII, ici le roi de Rome ; et l’on pourrait en placer dans chaque salle, à chaque génération, de ces frêles fantômes nés au pied du trône et à qui le sol de France est si obstinément cruel. Les peintres les ébauchent et devinent que ce n’est pas la peine de leur donner la plénitude de la vie, puisqu’ils sont destinés à passer comme des ombres. Nous ne l’ignorions pas, cette fatalité des enfans des Tuileries ; mais l’exposition des portraits la rend sensible et vivante, en nous faisant entrevoir toute la série de ces pâles effigies ; Je doute : que les mères, après avoir parcouru ce musée, rêvent la nuit d’être reines de France.

Autour de l’empereur, ses lieutenans et ses maréchaux, Kléber, Berthier, Soult, Junot, Lepic, Championnet. Ici, attendez-vous à quelques déceptions. Pour la plupart, ces portraits n’ont pas grande tournure, ces physionomies légendaires ne sont pas autrement caractéristiques. N’eurent-ils pas le temps de se faire peindre entre deux campagnes, ou pensent-ils, en bons courtisans, que le maître doit briller seul et qu’il faut rester terne pour ne pas l’offusquer ? Je ne sais, mais quand ils servaient la convention, David leur donnait une autre mine. Ça et là, quelques gaucheries trahissent l’improvisation hâtive de toutes ces grandeurs, de ces cours nouvelles, et, si j’ose dire, de cette mascarade de rois. On pense aux anecdotes contées par Mme de Rémusat. Regardez le portrait du roi Jérôme, écrasé sous ses insignes ; cela semble peint sur un théâtre et posé par quelque figurant qui a précipitamment revêtu des cordons, des chaînes d’ordres, un manteau royal trop lourd. Montaigne eût dit là devant : « J’en vois qui se prélatent jusqu’au foye et aux intestins. » Regardez, dans le même ordre d’idées, ce grand incroyable noir, qui se promène devant le Vésuve, une rose à la main, et qu’on a baptisé du nom de Murat, peut-être un peu à la légère. En sortant de là, on peut aller revoir les princes et les courtisans que peignait Rigaud ; ils sont plus à l’aise, au Louvre, ici, on est théâtral ou effacé. Au surplus, les portraits militaires sont moins nombreux qu’on ne s’y attendrait et d’importance secondaire. Les chefs de la grande armée ont mieux que la toile pour durer ; leurs noms sont gravés là-haut, dans Paris, sur les pierres où les soldats de Rude montent la garde. — En revanche, l’empereur a sous la main l’indispensable Talleyrand ; il en a même deux exemplaires : s’il voulait nous en céder un ! Le prince de Bénévent s’est fait faire tout petit, pour mieux passer par tous les trous et par tous les régimes ; il porte au vent son nez futé, taillé comme exprès pour flairer les consciences et les rapports secrets.