Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si vous prenez ces mots au sens indulgent que leur donne le siècle. Nous finissons la fête du vieux temps ; nous savons bien qu’il est mort, mais il a été si doux ! Qui n’y a pas vécu n’aura pas connu le plaisir de vivre, croyez-en l’évêque d’Autun. Petits enfans, ne nous méprisez pas ; vous serez plus sérieux, plus austères, votre existence sera plus pratique, plus utile peut-être à vous-mêmes et à autrui ; mais quand vous vous ferez peindre, vous paraîtrez souverainement ennuyeux, parfois fort laids et de bonne heure très vieux ; nous, notre charme restera toujours jeune, et dans cent ans, c’est devant nous que vous viendrez rêver. Ne nous méprisez pas, petits enfans ; si nous avons été folles, nous sommes braves comme des filles sorties de bon sang, et nous l’allons prouver ; regardez à qui va notre sourire ! »

On regarde, en effet, sur l’autre paroi de cette première salle, à quelques pas, en face : les gens à qui sourient ces femmes, ce sont Barère, Saint-Just, Robespierre, les conventionnels de David, ceux qui vont jouer avec ces têtes charmantes. En se tenant au simple classement chronologique, les organisateurs de l’exposition ont introduit dans ce salon un drame poignant, qui saisit au vif l’imagination la moins prompte. Les robes des dernières marquises frôlent les habits à revers et les gilets des montagnards. Voyez cette audacieuse Mme de Nauzières, aventurée entre Vestris qui étudie une pose et Mirabeau qui rugit un discours : que fait-elle là, en avant de ses sœurs ? Elle se fait peindre en Turque, toute drapée de blanc, sur un bel escalier de marbre, à l’entrée d’un grand parc aux ombrages paisibles ; elle a consciencieusement essayé un turban bleu, dans la petite étude de Danloux que j’aperçois plus bas ; il ne seyait pas, elle s’est décidée pour le blanc ; à la voir si pimpante, si contente de son travesti, uniquement soucieuse d’assurer l’aigrette de plumes à son turban et de nous montrer ce pied mignon qui descend une marche, on jurerait qu’elle s’apprête pour un divertissement à la cour ; lisez la date du portrait : 1793. Et ces arbres verdoyans vous disent que cela se passe après le 31 mai, au plus rouge de la terreur, au moment où Saint-Lazare


Ouvre ses cavernes de mort,


comme écrit André Chénier, qui compose d’un air inspiré dans un coin de la salle. — Le portrait de Mme de Nauzières devrait figurer en tête du chapitre où M. Taine nous montre la vie de chaque jour continuant son train, avec ses petites joies et ses humbles soucis, derrière la guillotine, sous le fracas de la tempête politique. Nous avons peine à nous représenter cette continuité des habitudes durant les grandes crises ; dans l’histoire, ce qui occupe fortement