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leurs subordonnés sont poussés par cette surabondance de ressources à toutes sortes d’essais mal étudiés, à des dépenses mal combinées ; ils sont en quelque sorte dispensés d’avoir un plan, un programme, de l’esprit de suite et de l’ordre. Le budget extraordinaire de la marine doit disparaître comme celui de la guerre ; peut-être sera-t-il nécessaire pour ce département d’élever de quelques millions les crédits du budget ordinaire. Un budget extraordinaire des beaux-arts ne se conçoit pas. Pour les postes et les télégraphes, l’honorable M. Cochery a fait preuve d’un zèle très louable, mais qui a coûté très cher et qui maintenant peut se calmer.

Nous ne connaissons pas de dépenses plus mal conçues et plus complètement stériles que celles que l’on consacre aux canaux et à toutes les petites criques ou tous les petits ports qui sont éparpillés sur nos côtes, de Saint-Jean de Luz à Dunkerque et de Port-Bou à Villefranche. Des canaux partout, des ports partout, des canaux qui ne transporteront rien pour la plupart, que les chemins de fer, par des abaissement de tarifs, maintiendront vides le lendemain du jour où ils seront terminés ; des ports en quantité, plusieurs centaines, où tous les mois peut-être entrera quelque goélette ou quelque brick, restes d’une marine d’autrefois, qui sont destinés à disparaître avant dix ans. Il semble que ceux qui ont fait les plans des projets de canaux et de ports se soient inspirés de l’idée d’un des personnages comiques de Molière, Dans l’acte III des Fâcheux, Ormin poursuit Éraste afin qu’il appuie auprès du roi un projet magnifique :


Cet avis dont encor nul ne s’est avisé
Est qu’il faut de la France, et c’est un coup aisé,
En fameux ports de mer mettre toutes les côtes.


Ce conseil burlesque, on prétend aujourd’hui le suivre. On veut mettre les côtes de France tout entières en ports. Il y en aura cent ou deux cents, peut-être plus. Chaque mauvaise crique obtient de l’état quelques millions ; le tout monte à 500 millions, si ce n’est plus. Qu’on renonce à cette dispersion des crédits. Avec les changemens opérés dans la navigation, il suffit à un pays comme la France de deux grands et bons ports sur chaque mer : Bordeaux et Nantes, le Havre et Dunkerque, Cette et Marseille. Si, dans les intervalles, cinq à six ports de second ordre méritent encore quelque intérêt, c’est le maximum. Ces places maritimes, en petit nombre, doivent être fortement outillées : on peut y arriver sans sacrifices budgétaires en empruntant la méthode anglaise. Comment les Anglais font-ils des ports, et ils ont les plus beaux du monde ? En accordant aux municipalités, aux chambres de