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sévères pour nos devanciers quand, au mois de mai 1883, nous n’avons pas encore réglé le budget de 1875 ? Avons-nous le droit de faire des reproches à leur légèreté ou de prendre en pitié leur ignorance quand nous appliquons comme eux la méthode de l’enjambement indéfini des années les unes sur les autres, et quand, dans le budget de 1884 par exemple, nous trouvons classées comme ordinaires des ressources qui ont été prises à des reliquats de l’exercice 1881, lequel lui-même les avait reçues de l’exercice 1879, qui les tenait de l’exercice 1876 ? Quelles que soient les richesses de la France nouvelle, prenons-y garde, elles ne résisteraient pas aux procédés financiers que l’on a ressusciteé de l’ancien régime.

C’est aussi une pratique et des plus condamnables de l’ancien régime que nous suivons en matière d’emprunts. Il est une méthode simple, claire, qui est celle de tous les particuliers intelligens, de tous les gouvernemens éclairés et soucieux de l’avenir. Quand ils ont besoin de ressources extraordinaires, ils empruntent au grand jour, par un contrat précis, définitif, qui fait connaître au juste la somme empruntée. C’était ainsi que l’on faisait en France autrefois. En cas de besoin, on commençait par un emprunt et l’on ne dépensait qu’après la réalisation de l’emprunt les fonds qu’il avait procurés. Nos nouveaux financiers ont changé tout cela. Quand ils veulent faire des dépenses extraordinaires, — et c’est une envie devenue chez eux une passion qui ne les lâche plus, — ils ne commencent pas par faire un grand emprunt ostensible dans des conditions nettes et connues. Ils se mettent d’abord à dépenser les sommes ; ils prennent à droite, à gauche, de tous côtés, dix millions ici, vingt millions là, autant ailleurs, à la caisse des dépôts et consignations, aux caisses d’épargne, aux trésoriers-généraux, à la Banque, ils ralentissent leurs paiemens pour se procurer les sommes disponibles et consomment ainsi les fonds de l’emprunt avant d’émettre l’emprunt. Où une pareille pratique conduit un particulier, chacun le sait ; l’emprunt public a, du moins, le mérite d’ouvrir les yeux et de faire connaître la réalité de la situation ; les petits expédiens variés auxquels on recourt pour reculer un emprunt qu’on sait nécessaire troublent la vue et entretiennent la disposition à la prodigalité. À ce jeu, l’homme le plus riche se ruine sans s’en apercevoir. C’est cependant cette tactique que suit depuis quelques années le gouvernement français. Il a été émis un emprunt de un milliard par un décret en date du 7 mars 1881. Les versemens de cet emprunt devaient se faire en cinq termes égaux, du 17 mars 1881 au 16 janvier 1882. Le public avait le droit de croire que les sommes que l’état devait recevoir concernaient des besoins propres aux exercices 1881 et 1882, des travaux à exécuter pendant ces années. Il n’en était rien. Les fonds de l’emprunt de 1881 étaient dévorés avant