Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est le moindre de leurs soucis que de voter les lois de règlement. Nous sommes au mois de mai 1883, le projet de règlement du budget de 1882 ne peut pas être encore soumis au parlement ; les résultats que l’on entrevoit de cet exercice sont, d’après les termes mêmes du ministre, « essentiellement provisoires ; » il en est de même de l’exercice 1881 ; le projet de règlement de celui-ci devrait être prêt ; il ne l’est pas, et M. le ministre a bien soin de faire connaître que les résultats en sont aussi « essentiellement provisoires, les travaux d’apurement nécessitant un délai assez étendu. » On est un peu plus avancé pour l’exercice 1880 ; néanmoins, le projet de règlement n’est pas encore achevé : on annonce seulement qu’il « va être incessamment déposé. » Pour l’exercice 1879, le projet de règlement en a été présenté au parlement dans le courant du mois de juin 1882, c’est-à-dire avec un retard de seize mois relativement aux prescriptions législatives, et la chambre ne s’est pas encore souciée de l’examiner. Avec une singulière négligence, les chambres n’ont pas encore voté les projets de loi de règlemens des exercices 1878, 1877, 1876 et 1875. Aucun de ces budgets n’est encore réglé. Au moment où nous écrivons, les chambres ont devant elles dix budgets à la fois, les budgets de 1875 à 1879 inclusivement, dont le projet de règlement leur est soumis, les budgets de 1880 et 1881, qui sont clos et dont le projet de règlement devrait être prêt, le budget de 1882, qui n’est pas encore clos, le budget de 1883, qui est en cours, et le budget de 1884, dont le projet de prévision vient de leur être présenté. Avoir sur les bras dix budgets à la fois, c’est vraiment trop. On détruit peu à peu à la dérobée toute notre législation budgétaire si laborieusement édifiée, et on reprend une à une toutes les fâcheuses pratiques de l’ancien régime. Les finances de l’ancienne monarchie ont péri par l’obscurité et la complication : ce sont les mêmes procédés qui les ont détruites qu’on applique aujourd’hui. Un contrôleur-général du milieu du XVIIIe siècle, Silhouette, dans un rapport au roi, en date de 1759, constatait que l’enchevêtrement des années, leur confusion entre elles, le retard du règlement des comptes, étaient les principaux vices des budgets du temps : « On ne peut pas encore, disait-il, déterminer exactement ce qui est dû des années précédentes sur les diverses parties des dépenses… L’enjambement des parties les unes sur les autres et la confusion qui en résulte n’ont pas permis d’en désigner le montant avec précision. » Les règlemens de compte se faisaient attendre dix, douze, quinze ans. C’est en 1771 que sont réglées d’une manière définitive les dépenses ordonnancées en 1758 ; celles de 1761 ne le sont qu’en 1776[1]. Avons-nous le droit d’être bien

  1. Voir notre Traité de la science des finances, tome II, Généralités sur le budget.