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les crédits supplémentaires ont rarement été au-dessous de 200 millions de francs et ont souvent dépassé ce chiffre. En ne les portant que pour 100 millions, nous comptons sur un retour de nos législateurs à la sagesse. Présenté avec un chiffre officiel de dépenses de 3 milliards 103 millions, évaluation qui, sans aucun doute, se transformera en une réalité de 3 milliards 200 millions, le budget de 1884 dépassera de 1 milliard 580 millions celui de 1869 et de près de 600 millions celui de 1875. En disant qu’il eût pu et dû être moindre de 250 à 300 millions, nous faisons, en vérité, preuve de peu d’exigence.

Par quelles étapes est-on arrivé du chiffre très suffisant de 2 milliards 626 millions de dépenses, en 1875, au chiffre vraiment extravagant de 3 milliards 103 millions et plus probablement de 3 milliards 200 millions pour 1884 ? Jusqu’en 1880 inclusivement, la progression n’est pas excessive : les dépenses de cet exercice, en effet, s’élèvent à 2 milliards 826 millions de francs, ce qui n’excède que de 200 millions celles de l’exercice 1875 ; ainsi, en ces cinq années, l’augmentation des dépenses a été de 40 millions en moyenne par an ; c’est une proportion qui ne dépasse pas de beaucoup celle que, par un esprit peut-être exagéré de concession, nous admettions comme raisonnable et permise. De 1875 à 1880, en effet, le gouvernement a encore été dans des mains ayant quelque expérience, quelque souci des traditions, quelque clairvoyance ; la chambre ne se sentait pas aussi complètement maîtresse, elle, était moins impérieuse, moins enivrée ; elle se laissait moins entraîner par le hasard et le caprice. A partir de 1881, la règle et la mesure disparaissent ; le budget de 1884, tel qu’on nous le présente, offre un accroissement de 277 millions relativement au budget de 1880, et si l’on tient compte de ce que le budget de 1884 est un budget de prévision et qu’on y ajoute la proportion moyenne des crédits supplémentaires des dernières années, on voit que les dépenses de l’an prochain dépasseront de 400 millions, environ celles de 1880. De 1880 à 1884, l’accroissement annuel des dépenses aura été deux fois et demie plus considérable que pendant la période de 1875 à 1880.

On pourrait se consoler de cette prodigalité en se disant que, si énormes qu’elles soient, si inouïes chez tous les peuples et dans tous les temps, nos dépenses budgétaires ne dépassent pas les forces contributives du pays, que le bien-être des Français n’en est que médiocrement réduit, que la production nationale n’en éprouve aucun détriment notable et que notre vitalité ne s’en trouve pas atteinte. Il n’en est malheureusement pas ainsi. Les symptômes les plus significatifs et les plus graves témoignent que nos finances