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tous ces langes qui ont bu la sanie des cancers, qui ont essuyé la bave du loup enragé, ne séjournent point à la maison ; bien vite on se dépêche de les envoyer au blanchisseur. Il faut les trier, les appareiller, les réunir en paquets d’un nombre déterminé qui permette une vérification sûre et rapide, car, dans un tel hospice, le linge, le vieux linge, est avant toute chose un objet de nécessité première. A qui échoit cette besogne abominable ? Aux filles de service, paysannes peu dégoûtées, qui, à la ferme, ont balayé le poulailler, vidé le tect à porcs, creusé des rigoles au purin ? — Non ; aux Dames du Calvaire. J’en ai vu deux assises, sur un bas tabouret, devant une manne putride ; élégantes, éclairées d’un sourire, ayant parfois aux lèvres le petit souffle qui chasse une odeur importune, elles avaient dans les poignets des inflexions plaisantes à regarder. Au temps d’Elisabeth de Hongrie, la manne se fût remplie de roses.

Les chambres des dames résidentes ont quelque chose de personnel que j’ai signalé ; bien plus encore l’infirmière a une individualité qui lui est propre. Son costume, sa coiffure, sa démarche sont à elle ; dans les mouvemens, dans le port de la tête, elle a son attitude personnelle qui la distingue des autres ; elles n’ont de commun que le tablier blanc et les manches blanches qui sont leur parure. C’est ce qui les rend originales et ne permet pas de les confondre avec les sœurs des congrégations, où tout est semblable, la robe et la guimpe, le geste et l’expression, le regard et le sourire. Qui a vu une religieuse les a vues toutes. Chez les Dames du Calvaire rien de pareil ; elles n’ont abdiqué ni leur nom, ni leurs habitudes. Telle qui a passé sa soirée au bal ou à l’Opéra, et s’y est divertie, sera debout, le matin, près d’un lit de cancérée, rabattra les couvertures et épongera la plaie infecte que le lupus a creusée. Elle reste femme du monde à côté des agonisantes, dans sa façon de se mettre à genoux pour prier, dans sa grâce en secouant la charpie, dans son élégance à faire bouffer les oreillers affaissés, dans les modulations de sa voix, lorsqu’elle console une malade qui dit : « Ah ! je souffre trop ! » Entre cette distinction de bon aloi et cette misère faite de tortures, le contraste est éclatant : j’en ai été touché. Plus j’avance dans ces études, plus je soulève les voiles qui cachent les œuvres de la charité privée, plus je pénètre dans ces arcanes de souffrance, de compassion et de foi, plus il me semble, malgré les déclamations envieuses et les revendications furibondes, que la parabole du mauvais riche n’est plus de notre temps et n’est pas de notre pays.


MAXIME Du CAMP.